Alix s'était levée tard ce matin-là. Le sommeil, enfin, ne lui manquait plus, et les deux nouvelles apparitions de Lon dans sa vie avaient finis de tirer une croix définitive sur ce qu'elle avait pris pour une dépression soudaine et brutale. Même si tous les problèmes étaient bien loin d'être réglés, ils ne se présentaient plus à elle de la même manière. Désormais, ils n'étaient plus qu'anecdotiques et ne tarderaient surement pas à être définitivement enterrés, avec toute la volonté du monde. Et alors, Alix retrouverait cette joie de vivre qui, depuis sa plus jeune enfance, la caractérisait si pleinement. Adieu tristesse et dépaysement, bonjour sourire sur visage enfin en paix. Du moins, était-ce dont elle rêvait et dont elle ne doutait plus aujourd'hui. Oui, à un moment ou à un autre, la roue tournerait. Enfin ! Il fallait bien qu'elle se montre chanceuse, au moins une fois dans sa vie.

Il faisait froid et la pluie tombait en violentes rafales. Alix avait vite tiré une croix sur son désir de sortir s'amuser en ville, aller au cinéma ou même vaquer à d'autres occupations toutes aussi futiles. Elle avait passé sa journée à bouquiner et regarder la télé, des offices pour le moins peu passionnants forcés par le mauvais temps courant à Phoenix. Au moins avait-elle prévu une soirée sympathique avec une amie de longue date qu'elle voyait en Luna. Non, pire encore, sa seule véritable amie digne de ce nom. Elle lui avait envoyé un sms auquel miss Smith n'avait pas tardé à répondre. « J'ai une bouteille de vodka à la maison. Tu passes ce soir ? Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vues. » Et puis, elle avait beaucoup de choses à lui dire, notamment au sujet de Lon.

La soirée ne tarda pas à se montrer, le soleil se couchant plus vite que d'habitude. En fait, il ne s'était pas vraiment levé aujourd'hui. Alix attendait Luna avec une terrible impatience. Cette femme était peu à peu devenue essentielle à son humeur et à son existence aujourd'hui plate et morne. Elles s'était connues lorsqu'Alix s'adonnait à une vie qu'elle regrettait sans cesse aujourd'hui, et pourtant, elle n'était jamais parvenue à déplorer cette fameuse rencontre qui aujourd'hui, s'était transformée en une réelle amitié entre ses deux femmes terriblement différentes. Chacune se nourrissait des dissimilitudes qu'elle entretenait avec l'autre demoiselle, et malgré leur mode de vie dissemblable, elles s'adoraient. Non, plus encore, elles s'aimaient. Véritablement. Et Alix ne se serait passée de cette amitié pour rien au monde.

Jamais Luna et Alix ne se montraient véritablement leur affection. A des kilomètres des longues déclarations d'amitié, elles n'étaient pas du genre à montrer leur sentiment aux autres, pas même entre elles. Et pourtant, l'estime qu'elles se portaient mutuellement crevait les yeux. Il suffisait de voir leur regard qu'elles portaient l'une sur l'autre pour se rendre compte des sentiments forts et intenses qui ne cesseraient sans doute jamais de les lier. Aux antipodes l'une de l'autre, Luna symbole de la rock'n'roll attitude, de la décadence et du je-m'en-foutisme de première, Jillian plus axée sur le romantisme, les caprices de diva riche et orgueilleuse, elles auraient pu d'abord s'exécrer si elles ne s'étaient pas rencontrées en de telles circonstances. Après tout, combien y avait-il de chances pour qu'elles se voient la première fois lorsqu'Alix perdait enfin de son romantisme et de sa naïveté pour se jeter dans les bras tentateurs de satan et de la déchéance ? Peu, probablement. Et cette infime chance avait suffit pour qu'elles tissent ensembles une relation insoupçonnable et d'autant plus grande. Jillian n'avait jamais imaginé, même dans ses rêves les plus fous, pouvoir offrir tant d'attentions à une personne du même sexe qu'elle. Fervente adoratrice de l'amour, elle y croyait dur comme fer, et s'était toujours révélée une absolue hétérosexuelle. Mais avec Luna, elle apprenait une nouvelle forme d'amour. Celle, plus forte que l'amitié, qu'elle réservait à la jeune femme. Un amour parfaitement platonique (quoi que ?), mais amour tout de même.

A la réponse quasi immédiate de Luna, Alix n'avait pu s'empêcher de rire. Elle n'était pas vraiment une adoratrice du tact, et c'était cela, avant tout, que l'étudiante adorait chez elle. Adieu l'hypocrisie, vive la franchise ! Une franchise toutefois plus amusante que douloureuse. Elle s'était dépêchée de s'habiller plus en conséquence, de se maquiller légèrement, attention parfaitement stupide. Après tout, elle n'allait voir que sa meilleure amie qui l'avait admirée en tellement d'occasions... tel les lendemains de soirée, la tête dans la bassine, ou encore les soirs de grosse déprime, le nez rougie par les larmes. Et pourtant, elle tâchait toujours d'être à son avantage avec Luna. Marque de respect, sans doute. Dix-neuf heures trente, sonna l'horloge gigantesque du salon d'Alix. En temps normal, elle aurait pu attendre bien un quart d'heure de plus sans avoir de nouvelle, la belle blonde reconnue pour ses incroyables retards habituels. Mais là, avec son message, elle ne doutait plus. Et Luna ne devrait plus tarder. Aussi, elle décida de l'attendre dehors, une clope au bec. Jill ne fumait que rarement, mais elle savait qu'elle craquerait toujours en compagnie de sa meilleure amie. En un sens, elle ne lui était pas des plus bénéfiques, mais ses tares étaient si minimes face aux bonheurs qu'elle lui procurait ! La voiture de Luna ne tarda pas à se présenter à l'entrer. Tout sourire, Alix s'avança jusqu'à elle. « Alors, beauté, on ne résiste pas à l'appel de la vodka, hm ? »

Peut être que d'un côté, Alix enviait un peu son amie. Elle vivait de ce qu'elle désirait, ne cessait jamais de faire précisément ce qui lui passait par la tête. Ses envies se voyaient toujours réalisées dans la seconde. Nul besoin d'être riche ou snob pour cela, elle le faisait simplement par la volonté, et l'incroyable absence de honte qui la caractérisait toute entière. Pour Alix, c'était bien plus compliqué. Et d'un côté, l'inconscience révélatrice de Luna déclenchait une sorte de jalousie chez son amie. Jalousie parfaitement bénéfique, d'ailleurs, puisqu'elle la poussait même à embellir son caractère. Toujours, toujours plus. Elle aimait cette femme et voulait lui arriver à la cheville. Du moins, l'espérait sans avoir la moindre chance d'y parvenir. Après tout, Luna était telle un chat sauvage : indescriptible, prête à n'en faire qu'à sa tête sans jamais faire attention aux conséquences que ses gestes pouvaient avoir. Elle était le symbole même de la liberté la plus absolue. Celle dont tout le monde rêve, mais que personne n'a un jour la chance de tenir entre ses mains. Personne... Sauf elle. Cette jeune blonde dévergondée et décadente avait toujours ce qu'elle voulait. Toujours. Et elle ne le devait qu'à elle. Une chance inouïe.

La réplique de son amie alors qu'elle lui retirait la clope de la bouche la fit sourire. Elle avait raison, d'un côté, elle était loin d'être négative pour Alix. Pire encore, elle dévoilait ses meilleurs côtés, la forçait à se confier malgré le mal que cela pouvait provoquer en elle, l'obligeait à remonter des souvenirs qu'elle voulait enterrer à jamais. Et ainsi, elle était toujours présente pour être aux côtés de sa meilleure amie, pour l'aider à aller bien. Une attention parfaitement réciproque. Une attention qu'elle ne souhaitait jamais voir partir... au risque de ne plus vivre, simplement, ou rien d'autre qu'une existence aussi fadasse et morne que possible. Bref, pas vraiment ce à quoi elle aspirait. « Tu fais chier... ma clope quoi ! » Luna déposa délicatement ses lèvres sur celles d'Alix comme pour la faire taire, dans le seul but de la saluer, une pratique certes peu courante dans le monde puritain dans lequel elles étaient obligées d'évoluer, mais une pratique qu'elles avaient simplement faite leur. Cela faisait bien longtemps que Jillian ne se choquait plus des étrangetés de son amie, et elle était habituée aux surprises de ce genre contre lesquelles elle ne faisait jamais entendre sa voix. C'était d'ailleurs bien la seule à avoir le droit à autant de courtoisie...

Elles étaient enfin rentrées au chaud et à l'abri d'une pluie détestable qu'Alix avait contemplé toute la journée. Luna avait mis ses pieds sur la table basse comme si elle était chez elle, une nouvelle habitude contre laquelle la jeune noble ne disait rien. Pire encore, elle regardait ça avec bienveillance, l’œil satisfait. Après tout, chez une femme comme cette Smith là, c'était même une preuve de bien-être. Et il n'y avait plus rien de plus bénéfique pour Alix que de mettre sa meilleure amie dans de bonnes circonstances, de lui offrir une situation où elle pouvait se sentir bien. Vraiment bien. « La vodka n'attend que nous ! » Elle ne tarda pas à aller la chercher dans le bar, dans un coin du salon. « J'tamène même un cendar', et je compte bien m'en servir si t'arrête de me prendre mes clopes comme ça ! » Taquinerie facile qu'elle agrémenta d'un sourire bienveillant, avant de s'installer aux côtés de sa meilleure amie, les deux verres à la main, et la bouteille enfin posée sur la table basse en verre. Prenant ses aises, elle retira ses chaussures pour s'assoir convenablement sur le canapé, le regard vrillé sur le joli visage de son amie qu'elle connaissait par coeur. « Des soucis ? mais je n'en ai qu'un, et il n'a pas changé de prénom depuis, ce fameux Lon. » Un sourire étrange se dessina sur les traits d'Alix, empli de nostalgie, de tristesse et ... d'appréhension. Elle lui avait à de nombreuses reprises parlé de ce directeur qu'elle avait fait craqué et qui l'avait vulgairement largué après deux mois d'une idylle parfaite sans la moindre raison. Oh, combien de fois l'épaule de Luna avait tari ses pleurs ?

Ah, Lon. Ce type était un exploit à lui seul. Il n'avait certes pas réussi le miracle de résister à la belle jeune femme, trop séductrice pour accepter qu'un jour on lui tienne tête, mais il était parvenu à la marquer au fer rouge, à faire en sorte qu'elle ne puisse jamais l'oublier. Pour une telle femme, qui se targuait d'être libre, indépendante, qui n'était désireuse que de vivre dans une déchéance nouvelle et qui lui plaisait après son enfance passée dans un cercle mondain détestable et à vomir, c'était synonyme de miracle que d'avoir de l'importance à ses yeux. Et pourtant, Lon avait conquis son coeur. Sans vraiment faire quoi que ce soit, juste en étant lui même, en ne lui cachant rien de ses innombrables défauts. L'un et l'autre avait vécu une idylle absolument parfaite. Une idylle qui avait imprégné la mémoire d' Alix et qu'elle était désormais incapable d'oublier. Quelle injustice ! Il l'avait larguée ensuite, pour tellement de raisons futiles et détestables.. Et voilà que maintenant, alors qu'elle commençait à peine à se relever de sa chute, il revenait vers elle ... N'était-ce pas une nouvelle forme de torture ? Quel détectable bourreau.

Alors que son regard était rivé dans celui de sa meilleure amie, Jillian peinait à vraiment songer à lui. Dans les iris grisés de Luna, elle perdait toute notion de tristesse ou de faiblesse. Elle n'était plus que l'image qu'elle lui renvoyait : une femme formidable et qui ferait bien mieux de picoler pour oublier ses malheurs. Du moins, son malheur. Son unique et détestable malheur. Elle écouta la jeune femme lorsque celle-ci glissa son verre sur la table, et sans se formaliser du pseudo peu appréciable dont elle avait usé pour l'obliger à se remuer, elle avala sa vodka cul sec, grimaçant lorsqu'elle sentit la forte boisson filer au travers de sa gorge. Elle n'aimait pas spécifiquement le goût de l'alcool, mais offrirait père et mère pour toujours connaître l'euphorie qu'il apporte. « J'suis bien d'accord avec toi, c'est effarant. Et j'te parle même pas, la clé -ma seule possibilité d'ouvrir cette putain de cage- s'est éloignée encore plus lorsqu'il est revenu me voir... » Elle laissa le suspens prendre place, s'allumant à son tour une cigarette qu'elle piqua dans le paquet de Luna sous son nez.

Luna offrait à Alix d'innombrables présents dont elle n'avait même pas conscience. Elle était d'abord la seule à pouvoir la remettre en place sans jamais se voir 'disputer', et elle était à l'origine des remises en question nécessaires, voire vitales, de la jeune femme. En plus de ça, c'était elle qui offrait un peu de mouvement à son existence, la seule que Jillian n'avait jamais abandonné, même lors de sa dépression, même lors de sa relation plus ou moins secrète et parfaitement interdite avec Lon. Luna était toujours là, bouteille à la main, clope dans la bouche, et elle offrait un peu de décadence à une vie trop parfaite. Ainsi, jamais Alix ne se prenait la tête lorsqu'elle se trouvait en sa délicieuse compagnie. Pire encore, elle devenait zen, apaisait son esprit qui ne demandait toujours qu'à réfléchir. Mais à force d'être en action, il ne tarderait pas à exploser. Luna était là pour empêcher ce carnage dans la vie de sa meilleure amie, elle était là pour la forcer à se confier, à parler, à dévoiler ses doutes et ses joies, ses peines et ses douleurs. Et pourtant, elle aussi possédait d'innombrables faiblesses bien cachées derrière des marques de rock'n'roll qui faisait son masque. Un masque indélébile derrière lequel la jeune Smith se cachait et qu'elle n'enlevait que très rarement. Parfois, avec Alix. Parfois seulement..

Toutefois, dès lors qu'Alix parlait de Lon, elle voyait dans le regard de son amie qu'elle n'appréciait pas cette discussion. Elle semblait ne pas porter cet homme dans son coeur, pourtant elle ne lui avait jamais véritablement parlé, et Jillian comprenait bien cette appréhension. Après tout, l'homme qui avait fait souffrir sa meilleure amie, elle le haïssait tout autant ! Pire, elle était bouffée par sa haine. Et elle ne tolérait pas que quiconque fasse souffrir Luna, puisque personne ne lui arrivait à la cheville. Alix ne se formalisa pas de la manière dont elle parla de Lon, c'était habituel pour une femme telle que Luna « Oh... eh bien, me parler d'abord. S'excuser, si on peut voir ça comme ça, puisqu'il a une drôle de manière de s'excuser. » Elle laissa flirter un sourire en coin sur son visage. Elle même n'aurait su dire ce qu'il voulait, au fond, puisque leur première rencontre n'avait pas été du à la volonté de môsieur. Non, elle avait été même provoquée par sa femme. Et finalement, ça s'était plutôt mal passé... Pas la seconde en revanche. Lon avait dit être prêt à de nombreux sacrifices pour reconquérir Alix, maintenant, elle ne demandait plus qu'à voir. « Et en plus de ça, je l'ai invité à un mariage... ouais, je sais, je suis faible. » Jill se désespérait ... un désespoir qu'elle noya dans un bon verre de vodka.

C'est vrai, s'excuser, c'était facile. Accepter des excuses n'était qu'une faiblesse de plus qu'Alix portait clairement dans son coeur. Et pourtant, elle ne se voyait pas vivre sans Lon. Il était devenu un élément essentiel dans sa vie, et une existence sans cet homme qui avait su la changer en profondeur ne reviendrait qu'à une vie fade et morne, une vie à laquelle elle n'avait jamais aspiré. Non pas qu'elle s'estimait supérieure aux autres (quoi que), mais elle pensait mériter plus que ça. Oh, beaucoup plus. Un 'plus' que Lon était bien malheureusement le seul à être capable de lui offrir. Quel dommage ! Dommage qu'une vie bien rangée comme de Jill, qui n'aurait du que filer droit avec aisance, puisqu'elle semblait tout posséder, ne soit réduite qu'à un malheur permanent, tout ça à cause d'une banale histoire d'amour. Du moins ... histoire d'amour, oui. Banale, non. certainement pas. Leur union était tout, absolument tout, sauf basique ! Et si accepter des excuses était une marque de faiblesse, alors oui, cette femme pouvait se dire faible. Et elle se fichait bien de l'être si c'était cela qui lui permettait de retrouver son bonheur.

Elle laissa parler Luna, curieuse de savoir ce qu'elle avait à dire au sujet de l'amour. Il ne faisait aucun doute qu'elle avait laissé tomber les sentiments purs tels que l'amour au profit du sexe et de l'amusement sans lendemain. Pas d'entrave, pas de contrainte. C'était plus simple comme ça. Mais fuir les difficultés, cela ne relevait-il pas de la faiblesse, après tout ? Toutefois Alix comprenait sa meilleure amie, elle avait vécu des choses difficiles et un chagrin d'amour qui l'avait bouleversée, brisée. Comme elle, en fait, sauf qu'elle n'avait pas eu la chance d'excuses et de retrouvailles enflammées. Elle s'était faite abandonnée. Purement et simplement. Aussi, Jillian ne perdait pas son temps à la juger. Elle la comprenait même. Et au fond, elle savait parfaitement que ce n'était que des belles paroles : Luna cachait au fond d'elle une part de romantisme, une part d'idéal qu'elle souhaitait voir apparaître sous les traits de son 'prince charmant' qui lui permettrait, à elle aussi, de goûter au bonheur. Au vrai bonheur. Pas celui que l'on vante, mais celui que l'on vit. « C'est vrai, c'est de la merde. Mais y'a pas que ça, et tu le sais très bien. » booster son amie pour qu'elle cesse de se voiler la face ? Peut-être un peu, oui.

Elle sourit à la remarque de son amie. Oui, elle était là. Elle le serait toujours, et Alix en avait parfaitement conscience. Pire encore, elle éprouvait pour elle une gratitude infinie. Rien que parce qu'elle se montrait présente. Sans cesse. Elle n'avait qu'à lui envoyer un sms pour que Luna laisse tout tomber et débarque immédiatement, et cette attention était parfaitement réciproque. Alix était là pour elle. Elle n'avait de cesse de le lui prouver, et elle espérait que la demoiselle en ai pleinement conscience. « Je sais, t'es toujours là et moi aussi tu sais. Mais t'es la seule personne sur cette terre que j'écouterais, alors si, t'as ton mot à dire. » Un sourire serein accompagna cette nouvelle forme de tendresse. Une déclaration d'amitié en bon et du forme qui se faisait rare entre les deux amies mais qui gardait toujours de son intensité. A sa phrase pleine d'humour, Jill ne put s'empêcher d'éclater d'un rire frais. « Que ce soir ? Tu me vexes ! » lança-t-elle faussement boudeuse en passant sa main dans les cheveux.

Ah, l'amour. Les deux jeunes femmes possédaient peu de points sur lesquels elles n'étaient véritablement pas d'accord, et pourtant, celui-ci en faisait partie. Elles en avaient une vue tellement différente ! Jillian avait toujours rêvé au prince charmant, elle voyait l'amour comme tout ce à quoi une femme pouvait aspirer dans sa vie. Un essentiel, quoi. Le truc qui permet d'être heureux, celui-là, plus qu'aucun autre. Comment pouvons-nous respirer la joie de vivre et le bonheur, alors qu'on n'a pas de personne pour partager notre vie, nos douleurs, nos joies, nos peines, avec qui vivre tantôt des moments de plaisir, tantôt des moments d'un bonheur partagé et essentiel, et bien sur, la douleur allant de pair, des instants de débâcle. Un véritable amour ne pouvait se passer de temps de désolation, de déprime, de stress. Et finalement, le combattre à deux restait tellement plus simple... Aux yeux de Luna, l'amour n'était qu'une vaste comédie, une terrible connerie contre laquelle elle se battait en profitant des plaisirs du sexe sans y ajouter les moments moins funs, moins... rock'n'roll ! C'était une façon comme une autre de voir la vie. Mais pas celle qui la rendrait heureuse. Surement pas !

Finalement, parler de Lon avait été une évidence, mais en y réfléchissant bien, Alix n'avait aucune envie de pourrir cette soirée en traitant d'un tel sujet qui pouvait lui offrir bonheur comme désolation. La tristesse n'avait ici pas sa place, et devait succéder à la joie, au simple plaisir de retrouver sa meilleure amie et d'être en sa délicieuse compagnie. « Il pourrait me rendre heureuse oui, j'en suis sure. Mais c'est pas dit que c'est ce qui arrivera. Enfin bref, n'en parlons plus, ça en vaut pas la peine. » lâcha-t-elle en souriant, mettant un point final à cette discussion qui ne devait en aucun cas venir ternir ce samedi soir qui promettait d'être placé sous une excellente étoile. Celle de l'amitié, de la déchéance, de l'amitié encore, et de la ... vodka ! A sa taquinerie au sujet de la bouderie, Alix ne pu s'empêcher de sourire. « Si tu savais comme les hommes aiment quand je 'boude'. » Elle éclata d'un rire frais, de celui que seul Luna était capable de lui extirper et ce, sans grand problème. Elle la taillait, et pourtant, jamais ne se faisait disputer pour cela.

La belle blonde s'était couchée sur le canapé, prenant ses aises. A son tour, Alix laissa tomber sa tête en arrière contre le dossier, relâchant la fumée qui commençait à brûler dans ses poumons. Quel délicieux moment, quel agréable silence, de ceux que l'on voudrait gravé dans notre mémoire pour l'éternité comme symbole du bien-être par excellence. Un bien-être que seul Luna rendait réel et accessible. « Comment tu trouves cet appart' ? » lâcha-t-elle après quelques minutes d'un silence purement amical. « Parce que jt'aurais bien proposé de venir y vivre avec moi. Bon, faudrait instaurer quelques règles, mais ça pourrait être bien. » Elle souriait. Oui, sa proposition était sincère, car elle ne supportait simplement plus de vivre seule. La déprime quotidienne serait chassé par la bonne humeur de Luna, elle en était persuadée. Et même si elle se rendait compte des inconvénients de la vie à deux, elle savait cet appartement bien assez grand et luxueux pour qu'elles se permettent d'y vivre ensembles.

Alix faisait mine de prendre ça a la rigolade, en affichant un sourire factice, mais elle prenait extrêmement mal le refus de son amie. Car, logiquement, il s'agissait là d'un refus. Si elle doutait de la capacité de sa meilleure amie de la supporter... non, c'était du vrai n'importe quoi, rien d'autre qu'une excuse pour refuser poliment cette offre. Une attention déplacée qui afficha une nouvelle forme de sourire sur son visage, celle du mensonge, de la mascarade, de l'hypocrisie. Elle accueillit cette nouvelle avec un nouveau verre de vodka qu'elle avala cul-sec, soudainement prise d'une angoisse folle. La vie seule était devenue un calvaire, et elle peinait à garder son sang froid lorsque la douleur refaisait son apparition. Alors, elle demeurait seule, entièrement et désespérément seule, recroquevillée sur son canapé avec une couverture ou, pire encore, nue sous la douche, les larmes coulant sombrement sur son visage.
Non, ce qu'elle proposait à Luna n'était pas qu'une simple 'co-habitation' entre copine. C'était une mission de sauvetage. Un 'sauvez willy !' à la 'sauvez alix !'. Tant pis si elle ne le comprenait pas, après tout. « C'est sur, j'ai déjà du mal à te supporter quand on se voit une fois par semaine, alors au quotidien ! » lâcha la jeune femme, le regard dans le vide et d'un ton trop joyeux pour qu'il n'ai vraiment l'air réel. Une chose était sur : alix n'avait aucun talent pour jouer la comédie ! Mais sans doute Luna ne remarquerait-elle rien, après tout, elles avaient l'habitude de se lancer des piques de la sorte sans que jamais ça ne soit réel. La, pourtant, sa rancune était tenace. Une rancune qu'elle savait stupide et arbitraire, alors dont elle ne parlerait pas.

Mine de rien, il y avait quand même du vrai dans ce que disait Luna... il faudrait instaurer de très nombreuses règles pour que la co-habitation se passe vraiment bien. Oh, Alix se foutait pas mal du partage des tâches ou des pièces et des meubles, cela lui importait peu, tout autant que ce que faisait Luna de sa chambre. Elle pouvait jouer de la musique, chanter à toute heure, la belle brune adorait l'entendre et cela ne risquait pas de changer... Néanmoins, sa meilleure amie était certes un peu trop fêtarde, et l'entendre rentrer à quatre heures du matin complètement bourrée et/ou défoncée ne la laisserait pas de marbre longtemps. De même pour les hommes qu'elle ramenait constamment dans son appartement. Bref, ce serait faire une croix sur quelques agissements, faire des concessions, ce dont elle était parfaitement prête, mais elle comprenait Luna si elle ne l'était pas, et elle ne comptait pas la forcer. « Tu me ferais presque peur ! » la taquina-t-elle. « Mais ce sourire, il risque de rester là, ce soir. »

Oui, vraiment, Alix était déçue. Alors qu'elle s'était imaginée que jamais Luna n'oserait décliner cette offre plus qu’appétissante, surtout pour une telle femme qui avait toujours vécu dans une solitude des plus hallucinantes, voilà que rien ne se passait comme elle l'avait prévue. Pire encore, la demoiselle n'avait même pas pris le temps de la réflexion avant de refuser, sans même remercier, sans ... rien en fait. Alix était déçue. Terriblement. Non pas de sa meilleure amie, elle ne lui en valait pas le moins du monde et comprenait son point de vue. Après tout, elle n'était aucunement obligée d'accepter ainsi une telle offre. Elle était simplement déçue car encore une fois, les événements ne se déroulaient pas comme elle avait espéré qu'ils se produisent. Ils prenaient une toute autre tournure sur laquelle elle n'avait aucun pouvoir. Et elle détestait cela, tout simplement. Elle se sentait odieusement faible. Terriblement faible face au pouvoir insurmontable du destin qui décidait tout pour elle, tout en lui faisant croire qu'elle avait son mot a dire.. Foutaises !

Lorsque le regard de Luna se fit plus froid, Alix devina instantanément de quoi il en retournait. Bien sur, elle avait espéré pouvoir mentir à sa meilleure amie... et elle s'était trompée ! Elle avait presque oublié, durant cette semaine qu'elles avaient passé loin l'une de l'autre, à quel point Luna était perspicace. Et alors qu'elle se montrait fausse et affichait un sourire convaincant au commun des mortels, sa meilleure amie ne faisait pas partie de ses gens-là, et elle voyait toujours tout. Tellement que cela fichait une peur bleue à Alix, craintive qu'on la perce à jour tout le temps. Heureusement que Luna était bien seule à avoir cette capacité !
Lorsque sa meilleure amie parla, O'donnel ne put s'empêcher de retenir sa respiration. Oui, elle avait parfaitement raison. Et lorsque ses doigts vinrent s'accrocher à son visage, elle frissonna de froid comme d'appréhension. Bizarrement, elle avait peur. Elle ne savait pas de quoi, mais le regard que Luna portait sur elle la terrifiait. Elle ne craignait aucunement des insultes, des reproches ou une dispute, pas du tout, mais la capacité qu'avait cette femme à lire en elle aussi facilement lui fichait la frousse, purement et simplement ! « Moi aussi, j'ai vécu dans la solitude. Et maintenant encore plus. Je voulais simplement te faire connaître une vie différence, mais je ne t'oblige pas Luna. Tu fais ce que tu veux. Je ne t'en voudrais jamais. » Cette fois-ci, le ton d'Alix était plus franc. Même si Luna venait d'accepter, elle ne voulait pas qu'elle se sente obligée, et c'était l'impression que ça lui faisait.

L'énervement de Luna était aux yeux d'Alix particulièrement injustifié. Elle n'avait pas à s'imaginer toutes ses choses totalement fausses. Non, la jeune femme ne la prenait absolument pas en pitié, elle serait bien incapable d'éprouver un tel sentiment pour sa meilleure amie qui la fascinait et qu'elle admirait. L'imaginer était à ses yeux un absolu sacrilège. A vrai dire, c'était surtout pour elle qu'elle voulait que Luna prenne place dans cet appartement où elle serait probablement bien. Elle n'en pouvait plus de vivre seule, ce n'était pas ainsi que la jeune femme pourrait aller mieux. Afin de se débarrasser de ce début de dépression qui la troublait depuis des mois et des mois, il lui fallait une présence constante. Et qui de mieux pour cela que sa meilleure amie ? Et puis cette dernière lui manquait terriblement. Après tout, elles se voyaient rarement désormais, une évidence qui faisait plus souffrir Alix que quoi que ce soit d'autre. Elle avait l'impression de la perdre. Et elle ne le tolérerait pas. Elle pourrait tout supporter mais pas ça !

Alors que son regard brillait d'un énervement farouche et qu'elle regardait Luna qui ne semblait plus la voir, Alix tâcha de calmer cette hargne nouvelle qui s'emparait de son coeur. Elle ne supportait pas lorsque sa meilleure amie lui parlait ainsi, lorsqu'elle s'énervait de cette manière sans la moindre justification, sans la moindre véritable raison. Elle n'était pas un chien qu'elle tenait avec une laisse, elle était une femme dans les plus terribles fonds des enfers et elle n'était pas tombée assez bas pour se laisser parler ainsi. « J'te prends pas en pitié. T'es chiante Luna, j'te propose ça, c'est tout. T'acceptes ou tu refuses, j'men fous. Mais si c'est pour être de cette humeur et gueuler pour rien, alors c'est même pas la peine. » Alix se releva du canapé où elle était installée avec Luna, se resservit un verre de vodka qu'elle but d'une traite. Cette situation l'agaçait au plus haut point, et cette réunion qui était placée sous le signe de l'amitié se dégradait considérablement.

Luna était une fille bien. Alix en avait parfaitement conscience, elle était bien la première à pouvoir en témoigner envers et contre tout. Elle avait appris à apprécier cette femme alors que tout semblait les opposer, et elle ne pouvait décemment plus, aujourd'hui, se passer d'elle. Pour la plus absurde et absolue des raisons. Elle ne se voyait pas même vivre sans cette présence réconfortante qu'elle lui apportait quotidiennement. Sans Luna, elle s'effondrerait, simplement. Elle était indéniablement l'un des derniers piliers qui la maintenait sur cette terre ferme, avec son meilleur ami, Clyde. Tous les deux remportaient la palme, et avaient su l'un comme l'autre se forger un piédestal indémontable en or brut dans son esprit. Un piédestal qui était devenu une nécessité.
Et alors qu'une dispute s’annonçait clairement pour une stupide histoire de proposition indécente d'une colocation qui promettait d'être mouvementée, Alix ne pouvait s'empêcher de soupirer de désolation. Peut-être était-elle trop irritable. Peut-être faisait-elle de nouveau preuve de la mauvaise foi stupide qui la caractérisait. Mais elle ne pouvait garder le silence devant l'injustice dont Luna la taxait, sans même réfléchir une seconde sur la manière dont elle pouvait l'avoir blessé en refusant ainsi cette offre. Une offre murement réfléchie, qui semblait aussi nécessaire à Alix qu'à sa meilleure amie, et qui leur offrait à toutes deux un foyer où se retrouver en paix, un endroit de calme et d'amitié où plus jamais elles ne trouveraient en la solitude quelque chose de positif. Elle en avait besoin. C'était un passage nécessaire à la belle brune pour qu'elle se remette petit à petit de ses trois mois d'un abandon le plus absolu. Et cela la tuait que Luna ne s'en rende pas compte. Ou peut-être ne le voulait -elle pas ... Oui, c'était sans le moindre doute plus simple de nier les efforts qu'elle avait à fournir pour venir en aide à sa meilleure amie que de s'en rendre compte, Alix comprenait parfaitement. Elle comprenait comme ça l'agaçait.

C'est de la surprise plus qu'une sorte d'inquiétude qui se ficha dans le coeur de la demoiselle lorsqu'elle se retrouva doucement acculée contre le mur, alors que Luna la débarrassait de son verre. Cette scène lui rappelait sauvagement la fois où toutes deux avaient passés une nuit ensembles. Oh, non pas une nuit à dormir tranquillement comme il leur arrivait couramment de faire, se prenant dans les bras plus pour se rassurer mutuellement et délester de l'autre un peu de son fardeau, mais une nuit agitée, mouvementée, la première et la dernière expérience féminine d'Alix. Ce n'était plus la même époque. Celle-ci était dorénavant révolue. Toutefois, elle devait admettre qu'elle n'avait pas réussi à regretter le moindre de ses actes dont elle devait assumer la responsabilité lors de ses années ... décadence. Elle s'était amusée. Elle avait profité de cette vie de jeune adulte riche à souhait, avait découvert un nouveau monde, un lieu utopique qui lui était toujours resté fermé d'une grosse croix rouge. Luna avait été la clé de cette lourde porte. Et lui offrant une confiance aveugle et méritée, Alix avait tout offert à cette femme. Elle lui avait donné son âme, qu'elle avait traité avec respect et attention.

Alix écouta les paroles de sa meilleure amie, l'esprit soulagé, hurlant sa joie en silence. Elle venait d'accepter. Non, mieux encore, elle venait d'avouer à sa meilleure amie toute l'affection sans borne qu'elle lui vouait, une attention bien trop peu présente avec une femme si fermée et si froide que Luna. Alix profita d'autant mieux de cette révélation dont elle avait conscience mais qui, énoncée à voix haute, troublait férocement son âme de la meilleure des manières. De ses paroles, Luna semblait faire reculer le démon de la Solitude, celui-ci se recroquevillant dans son esprit. Un jour, il mourrait. Dans d'atroces souffrances. Et alors Alix n'aurait plus la moindre question à se poser, tout serait plus clair. « Merci. » glissa Alix à l'oreille de son amie, alors qu'elle l'entourait de bras réconfortants. Puis elle s'échappa de cette étreinte pour récupérer son verre, se servant en même temps que celui de Luna, le lui glissant entre les mains. « C'est une nouvelle qu'on doit fêter alors. A notre vie commune ! » lança-t-elle, si joyeuse que son sourire illuminait son visage dans son intégralité, et qu'elle faisait tinter son verre contre celui de sa meilleure amie. Elle avait rarement été si heureuse. Luna la comblait de joie.. une fois de plus.