« Mange. » me répète ma belle mère. Je secoue la tête, refuse. Elle est bien drôle, elle. Manger. Et pourquoi ? Je n'en ressens pas, ressens plus le besoin. Et non, effectivement, je ne mange plus vraiment depuis que ma famille a éclaté. En mille morceaux. Une véritable boucherie. Et tout cela pour quoi ? Pour des âneries. Des bêtises, puériles. Quoiqu'il en soit, je ne considère plus avoir vraiment de famille. Ma mère et mon petit frère sont partis en laissant un vide, un vide bien vite comblé par une haine incompréhensible. En réalité, il me hait, mon frère. Il a commencé à m'en vouloir. Ma mère qui ne m'a jamais vraiment supporté a dû le monter contre moi, qu'importe. Il veut jouer, on joue. On ne s'évite pas, non. On se fait au contraire les pires crasses au monde. C'est ainsi. La blonde de mon père réitère la demande. Je m'emporte. « Je porte déjà ton putain de nom de famille au lieu du mien alors si c'est pour recevoir tes ordres ! » Puis je me lève et vais m'enfermer dans ma chambre. Standfield. Ce nom que je déteste et qui me colle à ma peau. Mon très cher père s'est laissé avoir par cette fille qui a voulu conserver son nom et nous le donner, du moins, soumettre par la même occasion. Pour moi, cette femme n'en veut qu'à son argent. Alors, le plus vite possible, je déménage de chez moi pour m'installer ailleurs dans la ville et être indépendant. Besoin de souffler, de ne plus vivre avec toutes ces prises de tête. Quand je mange, je me fais vomir. La plupart du temps. Ou je ne mange pas. Simplement parce que ça ne passe pas, peut-être que je ne veux pas être heureux simplement. Alors je m'inflige cette souffrance, et quelques autres.

Aujourd'hui, je fête mon vingt deuxième anniversaire. Seul bien évidemment. Du moins le beau blondinet qui sera dans mon lit ce soir ne compte pas. Pas de gâteau, pas de bougies. Je ne m'offre que le plaisir d'aller travailler. Ce plaisir d'être en contact avec les chevaux et avec ma propre jument, Faith. Une belle jument, je l'aime beaucoup. Elle est à ce jour la seule qui puisse me faire sourire sincèrement, d'habitude je joue le jeu. Je passe énormément de temps au ranch, quand je ne sors pas. C'est plus qu'un travail ; une passion, l'équitation. Je pratique beaucoup et je donne des cours. Cela me suffit bien pour vivre et je ne m'en plains pas. Ceci dit je ne suis pas certain qu'on me laisserait monter à cheval si l'ont connaissait mon état, effectivement, sans manger, un malaise est vite arrivé avec toute cette chaleur. Qu'importe, tous les risques me sont permis. Souffrir n'est pas si terrible, on en prend rapidement l'habitude. Ca devient presque une addiction. Peut-être est-ce pour ça que je ne cherche pas à résoudre mes problèmes. Que je les creuse même plus profondément. Qu'importe, j'aime vivre comme je vis. Je ne changerais rien. Du moins … En bref, elle est ma force et mon oxygène dans ce monde pourri.

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