En quittant l’appartement d’Edwin, sa veste pesant lourdement sur mes épaules, je n’ai pas trouvé le courage de rentrer directement chez moi. Je voulais éviter mes parents à tout prix. J’avais déjà justifié mon absence pour la nuit. Ils me croyaient chez une copine. Néanmoins, ma mère, dotée d’un instinct maternel oppressant, ne manquerait pas de remarquer que je n’allais pas bien. Elle me soumettrait alors à un interrogatoire qui m’indisposerait. J’ai donc tourné en voiture durant une bonne heure avant de retrouver ma chambre. Mon repaire. A l’abri dans mes quatre murs, je me suis allongée sur mon lit soulagée de laisser enfin s’exprimer mon désarroi. Hier, j’ai gâché une belle amitié. Aujourd’hui, j’en ai brisé une autre.

Très vite, j’ai ressenti le besoin pressant de téléphoner à Poppy. Poppy, c’est ma seule véritable amie. Une amie de longue date. Je serais presque incapable de décrire les circonstances de notre rencontre. Néanmoins, elle était toujours là pour moi. Elle me désapprouve parfois. Elle m’encourage par moment. On se dispute quelques fois parce qu’on s’aime profondément. Je pouvais donc comprendre l’obstination d’Edwin à vouloir garder intact l’écheveau entre Lloyd et lui. Ça ne pansait en rien cette plaie que son verbe acerbe a ouverte. Soit, j’ai par deux fois essayé de joindre Poppy. Injoignable. Je n’ai pas laissé de message. Je me suis changée et je me suis plongée dans un bouquin, luttant sévèrement contre ces souvenirs que ma solitude réveille. Je me souviens m’être endormie quelque part dans le chapitre quatre d’un thriller romancé. Au moment où l’héroïne croise l’antagoniste au détour d’une ruelle, le couteau à la main. Quand je me suis réveillée, en sueur dans mon survêtement, il était déjà dix-huit heures. J’étais à peine consciente de la sonnerie stridente et polyphonique de mon téléphone. J’hésitais entre rêve et réalité. J’ai donc répondu machinalement d’une voix ensommeillée. Mon frère. Comble d’imbécile. Il avait un service à me demander. Je lui ai raccroché au nez. Je ne voulais pas l’entendre. Je le détestais pour la fin de la journée. Je dormais bien en plus. J’aurais pu ne me réveiller que le lendemain. Tristes conséquences de la descente des substances illicites. A présent, je suis bien réveillée.

Un détour par la salle de bain et j’entends de l’animation dans la cuisine. Ma mère est rentrée. Je me drape d’une bonne humeur factice et je descends lui mentir... comme toujours. « ça a été ta journée ? Tes cours ? Tu as passé une bonne soirée hier ? » La vérité serait, dans l’ordre : Merdique, absente, trop beaucoup trop. « Oui super. On a bien bossé avec les filles. On a bloqué le projet. Par contre, en cours, c’était plutôt chiant aujourd’hui. La prof d’italien m’a limite insultée devant toute la classe. J’ai failli en mourir de honte » répliquais-je assise sur le plan de travail – ma place préférée – en picorant quelques raisins dans le plat à fruit « Tu devrais les laver avant de les manger. » « Je sais Man’ Papa est pas là ? » « Non, il vient de partir. Une course importante pour ton frère paraît-il, je n’ai pas demandé de détails. Par contre, Poppy a téléphoné. Tu ne répondais pas sur ton portable. Je crois qu’elle voulait te voir assez urgemment. » Les sens en éveil, j’ai sautillé jusqu’à ma chambre en remerciant ma mère. J’ai attrapé mon gadget lâchement abandonné sur ma couette. J’avais un texto : « Rendez-vous au bar vers 19h. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » Aïe. Ça ne me disait rien qui vaille. Qu’à cela ne tienne, je me suis lavée pour la seconde fois de la journée, j’ai enfilé un jeans, un pull et une paire de bottes et j’ai patiemment attendu l’heure de notre rendez-vous. J’ai emprunté la voiture de mon père. Lloyd avait besoin de la mienne. Accident de voiture visiblement. Je n’ai pas protesté. Je n’aspirais qu’à rejoindre la jeune femme dans notre « place to be » à nous. Je n’ai d’ailleurs pas traîné en route. J’aime l’ambiance qui y règne. J’aime saluer la moitié de la salle et appeler le serveur par son prénom. J’aime y retrouver mon amie et son enthousiaste. Par contre, aujourd’hui, je déteste la mine qu’elle fait.

Je m’avance alors vers elle d’un pas décidé et résolu. Bien sûr, j’avais à lui parlé mais elle semblait complètement défaite. Je lui devinais des problèmes de cœur. « Ah ! Je suis contente que tu sois là. J’avais peur d’être en avance et j’étais super pressée de te voir. Par contre, j’aurais aimé te voir plus souriante. Tu fais une de ces têtes. J’aurais dû apporter un pot de b&j au cookies ? Brownies ? Dis-moi tout » lui proposais-je tandis que le serveur nous apporte notre commande habituelle. Du moins pour moi, la consommation de Poppy était autrement plus corsée.

Les hommes sont nuls. Voila ce que la jeune fille pensait en quittant l'appartement de Lysander. Elle était là, en train de pleurer sur son épaule parce que son goujat de copain venait de la tromper. Enfin, elle venait de le découvrir plutôt. Peut-être le faisait-il déjà depuis un moment. Elle ne le savait pas et ne voulait pas le savoir. Il venait de lui briser le coeur, c'était suffisant. Elle voulait juste trouver du soutient. Et c'était tout naturellement qu'elle c'était vrai son meilleur ami. C'est fait pour ça non ? Elle avait eu tord. Il avait choisit ce moment, un moment où elle était faible et désarçonnée pour lui dévoiler ses sentiments. Non mais quelle idée ? Vraiment, comment avait-il put croire que c'était le bon moment ? Elle ne voulait pas le savoir. Elle ne voulait pas qu'il lui dise qu'il l'aime. Elle voulait juste pleurer et trouver du réconfort et du soutient dans ses bras. Une idiote. Voila ce qu'elle était. Comment avait-elle pu croire, qu'un garçon pouvait être là quand elle allait mal. Ridicule. Elle aurait du le savoir. On ne peut pas compter sur les garçons. Même Jade. Un de ses plus proches amis. Elle l'adorait. Il était son petit grain de folie et elle ne pleurait jamais avec lui. Mais il avait un gros défaut. Il était paresseux. Et quand elle avait frappé à la porte de son appartement poubelle, elle l'avait trouvé allongé sur le canapé, comme à son habitude. Elle lui avait demandé gentillement de l'accompagner boire un verre. Parce qu'à ce moment précis, c'est tout ce qu'elle avait envie de faire. Elle voulait boire pour oublier son copain, pour oublier son meilleur ami. Mais il ne c'était pas levé. Et contrairement à son habitude, Poppy n'avait pas eu la force de le faire. Elle n'avait pas trouvé la motivation ni les arguments pour qu'il bouge ses jolies fesses et qu'il vienne boire un coup avec elle. Alors elle avait claqué la porte, un peu plus énervé encore contre la gente masculine. Elle était rentrée dans son appartement complètement dépitée. Elle avait saisi son téléphone portable et elle avait composer automatiquement le numéro de sa meilleure amie, Sheena. Mais elle était tombée sur son répondeur. Elle avait insisté. Toujours aucune réponse. Elle avait appelé chez elle mais était tombée sur sa mère. Dans un dernier effort elle lui envoya un sms, « Rendez-vous au bar vers 19h. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » puis elle était partie prendre une douche. Cela lui ferait le plus grand bien.

Elle avait passé une bonne demi-heure à choisir ses vêtements. Finalement, elle avait opté pour quelque chose de basique. Elle n'avait pas envie de se faire belle. Elle n'avait pas envie de faire d'efforts. Elle ne voulait pas attirer les regards des hommes. Elle voulait simplement boire un coup, dans son bar favoris, avec sa meilleure amie et passer inaperçu. Elle se dirigea d'un pas lent vers le Phoenix Inn. Elle avait salué le barman d'un signe de tête et c'était installé à sa table. Celle qu'elle occupait toujours en compagnie de Sheena. Elle n'avait pas eu de réponse de sa part mais pourtant, elle savait que la blonde viendrait. Les deux jeunes filles se connaissaient depuis des années. Cela faisait tellement longtemps, que Poppy ne se souvenait même plus de leur première rencontre. Mais ce n'était pas important. Elles étaient différentes mais elles se complétaient parfaitement. Et c'est ce qui faisait leur force. Elles n'étaient pas d'accord sur tout mais une chose les unissaient. Leur amour l'une pour l'autre. Quoiqu'il se passe Poppy pouvait compter sur la blonde et inversement. Elle ne fut donc pas surprise de la voir arriver quelques minutes après elle. La brune essaya de lui sourire mais rien n'y fit. Elle n'y arrivait pas. « Ah ! Je suis contente que tu sois là. J’avais peur d’être en avance et j’étais super pressée de te voir. Par contre, j’aurais aimé te voir plus souriante. Tu fais une de ces têtes. J’aurais dû apporter un pot de b&j au cookies ? Brownies ? Dis-moi tout » Il était rare de voir Poppy sans sourire, mais ce soir était une de ces exceptions. Elle n'avait pas envie de faire semblant, surtout pas avec Sheena. "T'aurais du apporter les deux" fit-elle d'un air blasé. Puis elle déposa sa tête sur l'épaule de sa meilleure amie. Elle avait terriblement besoin de soutient. "J'suis passée à l'improviste chez Galvin. Et devine quoi ? Il était au lit avec une poupée barbie" continua-t-elle, les larmes aux bord des yeux. Elle détestait les garçons. Le serveur avait déposé des verres sur la table. Les mêmes consommations qu'elles prenaient en temps normal. Sauf pour Poppy. Le barman avait du voir à sa tête des mauvais jours qu'elle avait besoin d'un remontant. Il n'avait pas mis de coca dans son whisky et elle lui en était reconnaissante.

Jamais je n’avais vu Poppy si affligée et cette constatation me fait mal. La demoiselle affichait en permanence une joie de vivre à toute épreuve. Je ne doutais pas qu’elle était fragile. Un peu comme nous toutes. Néanmoins, elle n’en faisait que rarement l’étalage. En m’installant à sa table, juste à côté d’elle, le corps tourné dans sa direction pour lui assurer toute son attention. J’ai même tenté un trait d’humour en citant la marque de nos glaces préférées nos soirs de flegme ou de déception. Rien n’y fait. Ses yeux sont humides. Ils s’embuent de larmes. Instinctivement, je déteste Galvin. Il était seul capable de l’avoir blessé autant. « J’aime pas du tout la tête que tu fais » complétais-je tandis que, la tête posée sur mon épaule, elle me dévoile toute la vérité. Elle me ramène à mes propres expériences, trois ans auparavant. J’avais trouvé Heath en compagnie d’un homme d’âge mûr dans les draps que nous usions régulièrement. Je me souviens avoir nettement entendu mon cœur se briser dans ma poitrine. Ma colère m’obligea à lui lancer au visage tous les objets que j’avais trouvé sous la main. L’un d’entre eux heurta son visage. J’en avais jubilé un court instant. La minute d’après, je me sentais terriblement coupable. J’ai passé des jours à me demander ce que j’avais raté pour qu’il me trompe aussi ouvertement. Pire, qu’il se prostitue. Je me demandais si j’étais mauvais maîtresse, le tenant pour responsable puisqu’à l’époque, il était mon premier amour. Mon meilleur ami également. J’avais été naïve. J’eus du mal à m’en remettre. Je ne doutais donc pas qu’elle souffrirait longtemps, ma Poppy. Qu’elle peinerait à s’en remettre. Ça me déchire le cœur.

Naturellement, ma première réaction fût de glisser ma main dans ses cheveux. La seconde est prononcer un « Aïe ! On la connait ? » grimaçant. De la troisième, j’ai réglé l’addition, commandant pour la prochaine tournée de la tequila. Seul alcool capable d’anesthésier toutes les souffrances. La situation le méritait. Pire, le nécessitait. Pour la quatrième, j’ai pris la parole évitant minutieusement les : « Je te l’avais dit » trop dégradant. Je n’aimais pas Galvin. Ce n’était pas un secret. Néanmoins, Poppy était sa victime et personne ne peut décemment amoindrir une victime : « Les mecs, c’est tous des enfoirés. » conclus-je empathique. « Et lui, c’est le Roi des enfoirés. » J’ai pris le temps de réfléchir avant de continuer. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. « Fais-moi plaisir Pop’ » lui dis-je en la prenant par les épaules, l’obligeant à me regarder. « Chasse-toi tout de suite de la tête que c’est de ta faute. Pleure une bonne fois. Déteste-le parce qu’il le mérite mais surtout, ne te sens pas coupable. Tu étais trop bien pour lui ! S’il t’a trompé c’est parce qu’il savait très bien qu'il ne le méritait pas. Il a flippé c’est tout. Il est le seul responsable. D’accord » Doutant de l’avoir convaincue, j’ai insisté lourdement : « On est bien d’accord ? Parce que je peux tout entendre sauf ça. Il n’y a rien de pire que ça. Te dévalorise pas. Ne te retiens pas de pleurer non plus. Tu as le droit d’avoir mal. Tu as le droit d’être en colère et tu as même le droit de vouloir te venger. Si tu veux, je peux même t’aider. » lui scandais-je avec empathie. Elle veut détruire sa voiture ? j’en suis ! Faire courir une rumeur salace pour ruiner sa vie sexuelle pour les prochaines années ? J’en suis encore. Tout ce qu’elle voudra pour qu’elle se sente mieux. Mon amitié est sans limite. Ma loyauté est sans borne. Mais, en attendant, je pousse son verre de whisky vers elle. C’est la seule solution que j’entrevois pour le moment. Certainement pas la meilleure. Elle remportait néanmoins tous les suffrages. « Tu sais, je crois que ce n’est pas un hasard que tu y sois allée justement à ce moment-là » lui confiais-je en buvant une gorgée de coca-light, soucieuse de le vite le terminer « Tu sais ce qu’on dit. Il n’existe pas. Accroche-toi à l’idée qu’il valait mieux que tout s’arrête maintenant. Tu verras, ça rendra les choses plus faciles » Plus les ruptures tardent, plus elles sont douloureuses. Je manquais peut-être un peu de tact. « Tu sais ce qu’on va faire ? On va boire jusqu’à plus soif, jusqu’à danser sur les tables. Tu vas faire tout ce qui te passe par la tête sans réfléchir et me dire tout ce que tu as sur le coeur. Tu vas sonner à ton boulot pour prévenir que tu es malade. On va laisser passer la nuit jusqu’à ce qu’on soit complètement ivre. Tu peux tout faire ! Tu as tous les droits ce soir.» J’ai jugé inutile de lui parler de la nuit derrière. Cette fille, qu’elle a retrouvé dans les draps de son copain, c’est moi dans les bras d’hommes casés. Et je me sens terriblement égoïste. Terriblement mal dans ma peau. A croire que le sort s’acharne pour m’ouvrir les yeux sur mon comportement des plus pathétiques.

Détruite et désemparée. Voila comment je me sentais en ce moment même, assise à la table de mon bar favori. Je n'avais jamais eu aussi mal de ma vie. Et pourtant, en grande maladroite que je suis, les chutes ça me connais. Mes chevilles se sont cassées plus d'une fois, mon poignet également. Et pourtant, je n'ai jamais aucune une souffrance aussi grande. Je suis à l'agonie. Je ne sais même pas comme j'arrive encore à être debout. Je ne sens plus mon corps. Je n'ai plus l'impression de respirer. Je ne vis plus, je survis. Et c'est dur. Terriblement dur. Mon estomac me fait mal. Il se retourne dès que je ferme les yeux et que je vois l'image de la trahison. Le corps de Galvin, en sueur, sur le corps d'une autre, haletant. Mon sang pulse dans mes veines, si fort que je le sens partout dans mon corps et dans ma tête. J'ai envie de vomir. Il me dégoute. Je me dégoute. Comme j'ai pu être aussi naïve, non mais vraiment. Comment ai-je pu croire qu'un type comme lui, qui aime les femmes et aime se faire aimer, n'ai pu se contenter que de moi. Je suis une idiote. Une terrible idiote. Sheena me l'avait assez répété pourtant. Et non, moi aveuglé par l'amour je lui avais juré qu'elle se trompait sur son compte. Foutaise. Elle avait raison. Il était comme tous les autres. Un salaud qui ne pense qu'avec son organe génital. C'est après un long soupire et en déposant ma tête contre l'épaule de ma meilleure amie que j'ai lâché la bombe. J'attends un "Je te l'avais dit" mais rien ne viens. Elle sait que je souffre assez. Pas besoin d'en rajouter. Alors se contente d'un petit « Aïe ! On la connait ? ». Je hausse les épaules. Je l'ai surement déjà croiser en ville, un jour quelconque. "Elle était pas vraiment dans la bonne position pour que je vois ça tête" dis-je d'un air blasé. J'avais vraiment pensé à autre chose sur le moment. La seule chose que j'ai retenu c'est le bruit de mon coeur. Le craquement sourd. « Les mecs, c’est tous des enfoirés. Et lui, c’est le Roi des enfoirés. » Pour une fois je suis d'accord avec elle. Sheena n'aime pas Galvin, je n'ai jamais compris pourquoi. Ils ne se supportent pas. Et ma meilleure amie a toujours voulu me voir avec un autre garçon. Et dire que je l'ai toujours défendu devant elle. J'aurais mieux fait de me taire. J'ai honte, vraiment. J'ai honte d'avoir était aussi naïve et idiote. Je ne suis plus une gamine de quatre ans, comme j'ai pu croire au grand amour. Ça n'existe pas. Ce ne sont que des foutaises pour vendre des films, des dessins animés ou des livres. Et comme si Sheena avait pu lire dans mes pensées, elle me recule d'elle pour me forcer à la regarder. Je sens venir le petit speech. Et cela ne loupe pas, je la connais par coeur. « Fais-moi plaisir Pop’. Chasse-toi tout de suite de la tête que c’est de ta faute. Pleure une bonne fois. Déteste-le parce qu’il le mérite mais surtout, ne te sens pas coupable. Tu étais trop bien pour lui ! S’il t’a trompé c’est parce qu’il savait très bien qu'il ne le méritait pas. Il a flippé c’est tout. Il est le seul responsable. D’accord » Elle s'arrête de parler, attendant surement que je lui réponde. Mais je ne peux pas. C'est de ma faute. J'ai fais quelque chose de travers. Je n'étais peut-être pas assez bonne au lit, qui sait. J'ai surtout commis la faute de l'avoir cru. Et ça, elle pourra dire ce qu'elle veut, c'est mon entière responsabilité. « On est bien d’accord ? Parce que je peux tout entendre sauf ça. Il n’y a rien de pire que ça. Te dévalorise pas. Ne te retiens pas de pleurer non plus. Tu as le droit d’avoir mal. Tu as le droit d’être en colère et tu as même le droit de vouloir te venger. Si tu veux, je peux même t’aider. » Je soupire. C'est la seule chose que j'arrive à faire. Sa main pousse le verre de whisky vers moi. C'est la seule solution à mes problèmes. J'oublie tout. Et on verra le reste demain. Pour le moment j'ai besoin d'un pansement solide pour soigner mes blessures. Quoi de mieux que l'alcool ? J'avale une gorgée tandis que Sheena continue à me parler. « Tu sais, je crois que ce n’est pas un hasard que tu y sois allée justement à ce moment-là. Tu sais ce qu’on dit. Il n’existe pas. Accroche-toi à l’idée qu’il valait mieux que tout s’arrête maintenant. Tu verras, ça rendra les choses plus faciles. Tu sais ce qu’on va faire ? On va boire jusqu’à plus soif, jusqu’à danser sur les tables. Tu vas faire tout ce qui te passe par la tête sans réfléchir et me dire tout ce que tu as sur le coeur. Tu vas sonner à ton boulot pour prévenir que tu es malade. On va laisser passer la nuit jusqu’à ce qu’on soit complètement ivre. Tu peux tout faire ! Tu as tous les droits ce soir. » Sur ce, j'avale mon verre de whisky d'une seule traite. Après tout, elle a raison. Autant profiter de ma nuit pour oublier. J'aurais le temps d'avoir mal demain matin. Je vais signe au serveur. "Une bouteille de tequilla, deux shooters, du citron et du sel, s'il te plait". Oui, on a besoin de provisions, la nuit va être longue. Une bouteille ne suffira peut-être pas à éponger toute mes blessures. Heureusement que Sheena tient bien l'alcool. J'avale le premier shooter en faisant une grimace. Ça brule la trachée mais qu'est ce que c'est bon. Enfin ressentir quelque chose, autre que de la détresse et de la tristesse. Je pose mon verre sur la table et je me tourne vers Sheena. "Oh et tu veux savoir la meilleure ? Lysander est amoureux de moi" fit-je avant de me resservir un verre. Cette phrase était sortit de ma bouche, comme si c'était une banale information. L'alcool commençait à faire effet, je ne prenais plus rien au sérieux.

Spoiler:

Bon gré mal gré, je m’efforçai d’éviter les remarques désobligeantes qui pourraient rajouter à son trouble. D’autant que je connais trop bien Galvin pour deviner ses manigances. A mes yeux, Poppy n’est autre que la victime d’un pleutre qui ne connait aucune limite. Galvin ne répond à aucune bienséance. C’est un égoïste qui ne pense qu’à lui et à son bien-être. Il est sans scrupules, dénué de la notion même de respect. Il a sur les mains le "sang" de l’innocent qu’il abandonna ignoblement. Mon ex, son prétendu ami, est mort d’une overdose sous ses yeux et il a pris la fuite. Trop lâche pour appeler à l’aide parce qu’il était tout autant chargé que mon petit-ami. Comment s’étonner que je sois désormais incapable de le nommer en termes élogieux ? Comment pourrait-on m’en vouloir de ne pouvoir lui pardonner cet acte ignominieux ? Je ne ressens plus aucune compassion pour cet homme jugé détestable. Il est abject, bref, pas assez bien pour ma Poppy. Conserver jalousement ce secret m’avait semblé une bonne idée. Maintenant, j’hésite. Peut-être aurais-je dû confier à Poppy le côté sombre de notre histoire commune plutôt que lui caché ma rancœur pour son petit ami. Je me sentirais moins coupable aujourd’hui. A la vérité, j’aurais pu la protéger, la préserver de cette épreuve douloureuse. Suis-je un peu responsable de son malheur ? Je ne sais pas. La demoiselle ne dit rien. Je me doute qu’elle culpabilise même si elle ne s’explique pas en ces termes. En réalité, ce n’est pas vraiment la peine. J’ai fait les frais de la trahison d’un homme. Je sais ce que c’est. D’autant que nous sommes amies depuis si longtemps à présent que je peux offrir un sens logique à toutes les lueurs brillant dans ses yeux clairs.

Impuissante son désarroi, j’ai malheureusement posé une question maladroite. La question de trop jugée pourtant nécessaire : L’identité de la maîtresse de Galvin. « Excuse-moi. Ce n’était pas très malin de ma part » répondis-je en grimaçant tandis qu’elle hausse les épaules et me rappelle les circonstances de sa rencontre avec l’amante de son petit copain. L’information n’était pas primordiale. J’aurais pu m’abstenir et pourtant, je l’estimais nécessaire pour anticiper la douleur de Poppy. Se savoir victime d’ « adultère » n’est sans aucun doute pas la meilleure des nouvelles. Retrouver son petit avec une autre dans un lit qu’au préalable souillé par nos propres ébats est un pied de nez douloureux. Mais le surprendre avec une amie ou une connaissance le rend d’autant plus blessante et je sais de quoi je parle. Je sais Ô combien elle a mal mais malheureusement, au-delà des mots et des gestes, je suis démunie. Alors, je caresse doucement ses cheveux, j’insulte son nouvel-ex sans grande parcimonie et je l’assomme d’un tas de conseil moralisateur. Je croirais entendre mon frère sauf que je n’ai pas son talent pour remonter le moral des troupes. Très vite, je tombe à court d’arguments alors, je lui tends son verre de Whisky en désespoir de cause. Quelle amie désolante amie je fais. Je suis juste bonne à préconiser l’oubli dans une bouteille. Je pourrais avoir honte si je n’étais pas persuadée que Poppy n’avait besoin de rien d’autre pour l’instant. Elle avait besoin de se sentir vivante et d’anesthésier cette lénifiante souffrance qui lui bouffe le cœur. Elle ne se fit d’ailleurs pas prier. Sans demander son reste, elle avala le reste de son verre et nous commanda une bouteille de Tequila.

Respectant notre cérémonial, nous avons avalé notre premier shoot ensemble et, tandis qu’elle nous sert un second, elle me raconte une autre nouvelle. Une nouvelle qui n’en était cependant pas une pour moi. Si elle venait d’apprendre que Lysander était fou amoureux d’elle, moi, je le sais depuis des semaines déjà. Peut-être même des mois. Réunis par la journaliste au cours d’une soirée pour le moins morose – le comportement de Galvin m’avait gavé – il me l’avait avoué et, à l’époque, je l’avais sommairement averti de l’ampleur de la déflagration sur la vie de ma meilleure amie s’il choisissait de lancer la bombe à un mauvais moment. Je pensais avoir été clair pourtant. Dommage qu’il aie attendu l’instant critique d’une rupture violente avec son copain pour se dévoiler. Surtout que maintenant, je suis obligée de révéler que j’étais au courant. Quelque part, c’est une triple trahison qui me fit avaler de travers. Comment trouver les mots pour dévoiler que j’ai parcimonieusement conservé cette information pour protéger leur amitié ? « Euh.. Pop’, je sais pas comment te dire ça » commençais-je un peu mal à l’aise « Mais, il me l’avait confié. Lysander me l’avait dit après la soirée qu’on a passé tous les quatre à la rhumerie. Tu te souviens ? Il m’avait demandé de ne pas t’en parler et, par la même occasion, j’ai jugé bon de lui conseiller de garder ce secret pour lui. » Sincèrement, je crains qu’elle m’en veuille mais, avais-je d’autres choix que lui cacher les sentiments de son meilleur ami ?