« Un whisky s’il vous plait. » Cette demande faite, Blake s’installa au bar dans un long soupire. Une journée de boulot qui s’achève, pour certain, c’est un soulagement, l’occasion de faire un break, de pense à autre chose bien loin de la folie du boulot. Pour Blake, depuis un moment déjà, c’était le contraire. Au boulot, il cessait de penser à tout ce qui n’allait pas dans sa vie, ce rêve de devenir écrivain qui semblait toujours plus irréalisable au fil des jours qui passaient, le décès récent de son père et sa famille éparpillée au quatre coins du pays. Rosemary qui était revenue à Phoenix du jour au lendemain après l’avoir quittée par ambition. Il aurait préféré que le fait de la revoir n’ait pas eu cet effet sur sa vie. Elle avait chamboulé le pseudo équilibre qu’il avait retrouvé au fil des années. Il avait été amoureux d’elle. Cet amour fou, inexplicable qui semble être la plus belle chose au monde, il aurait fait n’importe quoi pour elle, il serait même allé avec elle à New-York si elle le lui avait demandé, mais de toute évidence, elle ne l’avait vu que comme un obstacle à sa réussite, une tache sur le tableau de la réussite parfaite de sa carrière. Il lui en avait voulu, pendant des mois, sans doute des années, peut-être même aujourd’hui encore. Elle avait été comme une obsession dans sa vie au fil des années. Cette femme qu’il n’avait jamais oubliée, cette histoire à laquelle il s’était tellement accroché que recommencer une relation durable lui avait été impossible. Elle avait tourmenté son esprit pendant si longtemps, si loin de lui, tellement loin qu’il aurait du l’oublier. C’était une certitude qu’il avait en lui, il devait l’oublier. Plus facile à dire qu’à faire, c’était un fait. Elle était encore là dans un coin de son esprit quand elle n’était pas encore revenue, mais maintenant qu’il avait croisé de nouveau son regard, elle n’était plus dans ce petit coin de son esprit, elle était partout. Il était incapable de penser à autre chose qu’à elle, à toutes ces choses qu’ils avaient partagées ensemble, les bons moment qu’il avait passé à ses côtés, mais aussi toute cette rancune qu’il éprouvait pour elle. Il était partagé entre cette envie, naturelle et légitime de la haïr pour l’avoir laissé tomber comme s’il n’était qu’un poids pour elle et celle de lui pardonner et de l’aimer comme il l’avait aimée autrefois. Deux envies complètement opposées qui l’avait poussé à venir faire le vide par l’alcool ce soir. C’était le week-end le lendemain, il ne travaillait pas, alors il pouvait bien se permettre de boire comme un trou jusqu’à oublier cette histoire, oublier Rose et son magnifique sourire, oublier Rose et son égoïsme déconcertant. Il ne voyait malheureusement pas d’autres alternatives qu’une bonne cuite pour oublier tout ça momentanément.

Il était sans aucun doute bien pathétique à picoler comme un imbécile à cause d’une peine de cœur qui aurait due être oubliée depuis longtemps déjà. Il aurait du reconstruire sa vie loin de Rose, trouver une autre femme, l’épouser peut-être, ainsi, il aurait pu être fier aujourd’hui de lui montrer qu’il s’était très bien remit de cette façon ô combien lâche dont elle l’avait laissé tomber, mais non, il n’était pas marié, ni heureux d’ailleurs. Il était juste un pauvre gars célibataire, condamné à picoler pour se sentir un tant soit peu mieux dans sa vie. Le plus simple aurait été de ne jamais mettre les pieds à Phoenix, il aurait du rester chez lui, dans sa petite ville avec ses parents, quelle idée débile il avait eue de vouloir faire ses études dans une grande ville, comme si ça avait été censé lui apporter quelque chose d’autres que des problèmes. S’il s’était contenté de rester dans son trou paumé, il ne serait pas en train de picoler au fond d’un bar. Quoi que, si ça se trouve il aurait eu une autre histoire d’amour tout autant désastreuse qui l’aurait poussé à boire comme un alcoolique désespéré. Une chose était sûre, elle, elle aurait mieux fait de rester à New-York à profiter de sa gloire. Là au moins, elle ne le poussait pas à boire pour l’oublier, plus depuis quelques années déjà en tous cas. Il détestait l’idée d’être là à déprimer à cause d’une fille qui ne le méritait même pas. Elle l’avait laissé tomber parce qu’il était - d’après elle - une entrave à son avenir professionnel. Excuse à la con qui aurait mérité qu’il se contente de refaire sa vie en oubliant cette fille ô combien pathétique. Mais non, il était la comme un abruti à broyer du noir. C’était lui le plus pathétique des deux. En plus d’avoir été délaissé au profit d’une carrière, on ne pouvait pas dire qu’il avait réussi la sienne. Pourtant, au départ de Rosemary, il aurait se concentrer sur son avenir professionnel lui aussi, après tout, elle avait été suffisamment clémente pour lui laisser de l’air alors il aurait du en profiter. Ironie, elle n’avait pas pensé à lui, juste à elle. Il soupira. Peut-être qu’il était temps aujourd’hui qu’il se concentre sur son boulot plutôt que sur elle et tout ce qu’elle avait ramené avec elle en revenant à Phoenix. Dans un soupire, il attrapa son ordinateur portable pour le poser sur le bar. Il avala une gorgée de son verre pendant que la machine s’allumait pour lui afficher une page blanche. Cette page blanche aussi elle lui donnait envie de boire, parce qu’il avait l’impression que chaque phrase qu’il tapait, c’était nul, alors au final il se retrouvait avec des pages et des pages d’une histoire complètement nulle. Il n’était peut-être pas fait pour être écrivain. Constatation qui le poussa à avaler le reste de son verre cul sec et d’en commencer un nouveau. Peut-être qu’il devrait se mettre aux romans à l’eau de rose, ainsi il pourrait raconter son histoire, sa pitoyable histoire d’amour avec Rose. Quoi qu’au final, le personnage de son livre, qui ne s’appellerai sans doute pas Blake, passerait juste pour un gros blaireau complètement stupide, ce que lui, il était. L’écrire et tenter de le publier, ce serait comme vouloir faire comprendre au monde entier à quel point il était débile. Mieux valait qu’il remballe cette idée rapidement. Il le fit, avant d’avaler son deuxième verre, cul sec encore et d’en commander, encore un autre. Trois verres en si peu de temps, il était bien parti pour se bourrer la gueule, à ce train là au bout d’une heure il se serait sifflé une bouteille à lui tout seul. Soirée de merde. C’était définitivement une soirée de merde, si bien que par hasard, il entendit cette voix familière non loin de lui. Il jeta un bref coup d’œil à la propriétaire de cette voix et évidemment il fallait que ce soit Rose, cette même Rose qu’il essayait d’oublier ce soir. Il resta à la fixer quelques instants, sans doute trop longtemps avant de fixer de nouveau l’écran de son ordinateur comme dans une tentative désespérée de ne pas se faire remarquer.

Il y avait à Phoenix beaucoup de bars et de cafés, après tout, ce n’était pas une ville particulièrement petite alors on en trouvait presque à tous les coins de rues, mais comme un idiot il avait fallu qu’il décide d’aller se bourrer la gueule dans celui qui était le plus susceptible d’être aussi fréquenté par Rose. Plus jeunes, ils avaient souvent fréquenté cet endroit, à son départ, lui, il avait continué d’y venir, maintenant qu’elle était revenue, il fallait qu’elle décide aussi de venir ici, évidemment. Il ne pouvait s’empêcher de rouspéter dans sa tête, de se dire que c’était logique que ce soir à elle d’aller voir ailleurs et non pas à lui. Elle était partie sans se soucier une seule seconde de lui, elle lui avait fait comprendre avec une clarté déconcertante qu’il ne représentait à ses yeux qu’une entrave à sa vie professionnelle et que cette dernière était la chose la plus importante à ses yeux. Elle était partie comme une voleuse sans chercher à entretenir aucune des relations qu’elle avait eut ici comme si ces dernières allaient forcément la freiner. Lui, il était resté ici, il avait gardé contact avec quelques amis de l’université. Il n’avait peut-être pas atteins son but professionnel mais il avait encore des amis et il venait ici tous les soirs, tous les midi et tous les matins depuis des années, ce qui techniquement lui donnait le droit de rester ici sans qu’elle ne vienne tout gâcher. Fixant son écran blanc, il se surprenait lui-même à être en train se s’approprier le bar. Il n’avait en réalité aucun droit sur cet endroit c’était juste rageant de la voir revenir, de sentir un couteau se remuer douloureusement dans une plaie qu’il pensait cicatrisée depuis le temps. Ce n’était pas juste. Il n’avait jamais réussi à l’oublier complètement alors qu’elle, sa brillante carrière avait sans doute du effacer toutes traces de ce qu’elle avait pu ressentir pour lui. Lui, il était resté là à éviter les histoire d’amour pour ne pas tomber dans le panneau une nouvelle fois, si bien qu’il était devenu un écrivain raté, manquant trop de confiance en lui pour se lancer. Un pauvre homme qui préférait se contenter d’histoire d’un soir pour ne pas souffrir à nouveau, alors qu’à une époque, il rêvait de rencontrer l’amour et de fonder une famille, d’avoir une belle maison avec une belle barrière blanche et un chien. Il s’imaginait très bien passé la tondeuse le dimanche matin en saluant ses voisins. Finalement, il habitait dans un appartement, ne possédait donc pas de tondeuse, de toute façon, ça ne serait pas très utile, et en plus il ne connaissait pas ses voisins, il n’avait même pas de chien, c’était trop de contraintes un tel animal en appartement. Il avait bien pensé à prendre un chat mais ça faisait définitivement désespéré alors ça lui avait semblait être une mauvaise idée. Il vivait donc tout seul dans un appartement loin de la vie idéale qu’il aurait pu imaginer bien des années plus tôt et pourtant, ça ne lui manquait pas. Au final, il aurait été nul comme père, alors fonder une famille n’était pas une brillante idée. Il manquait tellement de confiance en lui-même que ça aurait eut une répercussion sur ses enfants, chose à éviter. Il n’avait jamais eu de jardin alors il ne saurait sans doute pas se servir d’une tondeuse et il serait fichu d’être allergique aux poils de chiens. Son rêve de jeunesse était donc juste un rêve complètement stupide auquel il ne pensait même plus aujourd’hui. Il ne pensait plus qu’à ses cours et à cette imagination débordante qu’il avait toujours eue mais qu’il n’avait jamais su exploiter correctement. Il écrivait sans jamais être satisfait de lui c’était comme si toutes ses idées étaient bien dans sa tête mais complètement nulle une fois rédigées, si bien qu’il restait souvent bloqué des heures entières devant des pages blanches, comme c’était le cas ce soir dans ce bar. Cela dit, ce soir, il avait plutôt tendance à remettre la faute sur la jeune rouquine qui était apparue pour s’imposer dans son cerveau avec une force déconcertante. Encore quelque chose qu’elle n’aurait pas du avoir le droit de faire après l’avoir lâchement abandonné. Elle aurait du avoir au moins la décence de foutre la paix à ses pensées. Finalement, ce n’était pas de sa faute à elle, c’était juste lui qui était trop stupide pour qu’elle lui soit complètement indifférent, mais sa rancœur le poussait à tout lui reprocher, il en était limite à lui reprocher la faim dans le monde, c’était dire à quel point sa rancœur était démesurée. Il était rancunier, elle l’avait toujours su et pourtant elle était partie pendant des années et maintenant qu’elle était de retour elle lui faisait les yeux doux comme si de rien était, elle aurait du savoir que même après toutes ces années il continuerait à lui en vouloir, elle le savait sans doute, disons, qu’elle avait préféré faire abstraction de cette rancœur qu’elle lui connaissait, pour revenir dans sa vie au point de venir une nouvelle fois s’assoir en face de lui avec une innocence déconcertante.

Il leva les yeux de son ordinateur, lui lança un bref regard au dessus de l’écran avant de reposer ses yeux sur sa page blanche, fixant avec attention le petit trait noir qui ne cessait de clignoter en haut de sa page, comme lui faisait signe qu’il était grand temps de taper sur une touche, ne serait-ce que celle des majuscules, ce serait un bon début puisqu’une phrase est censée commencer par une majuscule. Il soupira fortement, comme dans une volonté qu’elle l’entente, qu’elle se rende compte qu’elle n’était pas à sa place ici et qu’elle finisse par partir, plutôt que de rester plantée là à occuper toutes ses pensées et à remuer inlassablement le couteau dans la plaie. Mais elle était là, bras croisés, le regard posé sur lui comme si elle attendait qu’il lui parle. Il n’avait rien à lui dire si ce n’est qu’elle était en train de lui bouffer tout son espace vitale, ce qui n’était pas très poli et même s’il était rancunier, il restait poli, il avait reçu une bonne éducation qui l’empêchait de dire les choses de cette façon, peut-être qu’il devrait trouver une autre structure de phrase, il était prof de littérature et avait toujours voulu devenir écrivain alors ça ne devrait pas être si compliqué que ça. Il pouvait lui proposer d’aller plus loin si elle avait pas un autre ex à importuné, mais ce n’était pas encore ça, alors il se contenta d’attraper son verre et de le terminer. Avant de faire signe au barman de lui en apporter un nouveau. Il fallait qu’il appuie sur les touches de son clavier pour faire mine d’être trop occupé pour s’intéresser à elle, mais à part appuyer sur n’importe qu’elle touche, il ne voyait pas trop ce qu’il pouvait faire et s’il appuyait sur n’importe quelque touche, il était sûre que ça s’entendrait, le bruit de quelqu’un qui tape sur des touches pour écrire quelque chose de correct n’est pas le même que celui d’un taré qui appuie n’importe où juste pour faire genre il travaille. Finalement, sans lever les yeux de son écran, il poussa un nouveau soupire et se décida à ouvrir la bouche. « Qu’est-ce qui t’amène à cette table ? Les autres ne sont pas assez bien pour toi ? » Il avait toujours eu l’impression que lui, il n’était pas assez bien pour elle, que ce qu’ils avaient connu n’était pas assez bien pour elle qui se voyait déjà au sommet d’une grande boite où personne ne pourrait l’emmerder. Elle était comme ça, toujours à viser la perfection et balayant les détails qui pourraient soi-disant l’empêcher de l’atteindre. Il adressa un rapide sourire au serveur qui venait de lui apporter un nouveau verre de whisky avant de reposer son regard sur la même page blanche qu’auparavant. « Je suis pourtant sûr qu’il y a un tas de mecs ici qui seraient ravis que tu t’adresses à eux, plus ravis que moi en tout cas. » Il n’avait pas l’intention de lui cacher son manque d’enthousiasme que lui provoquait cette entrevue, comme elle ne lui avait pas caché qu’il n’était rien pour elle comparé à sa brillante carrière. C’était légitime, il lui en voulait et il ne comprenait même pas ce qui la poussait à revenir vers lui après tout ça, elle qui devait toujours se concentrer sur sa carrière, elle ne devait de toute évidence pas avoir le temps de s’intéresser à lui et à sa misérable vie, alors elle ferait sans doute mieux d’aller faire un tour ailleurs et de le laisser se noyer dans ses verres de whisky.