il faut un début à tout.
« Joyeux Anniversaire Luddy ! » scanda la foule affublée de chapeaux ridicules et d'une coupe de champagne en main. Le jeune Malrow arqua son sourcil droit, comme à chaque fois qu'il était perplexe devant une situation. Ce qui était mignon quand il était plus jeune devait dorénavant s'appeler mascarade. Il n'avait pas à se plaindre, après tout, sa mère avait encore organisé une fête digne des plus grandes soirées de la ville ; néanmoins, Luddy ne sut faire d'autre que de jeter un regard significatif à aux jumeaux. Ils ne pouvaient se retenir de se marrer, dans un coin, au fond de la salle. La situation était ridicule. Où se cachaient le château gonflable et la pinata ? Il se jura que si ils lui sortaient un clown, il hurlerait à la mort et se jetterait du toit dans la minute qui suivrait. Non seulement il avait passé l'âge, mais en plus, il détestait les clowns. Pire que ça, c'était une phobie.
Il devait faire bonne figure, c'est pourquoi il se forçait à sourire et à rire à toutes les personnes qui venaient lui serrer la main, faire la bise et compagnie. Tout le monde était là, son père, son frère et sa soeur, ses collègues, sa copine, des inconnus ; mais il n'arrivait point à trouver la personne qu'il cherchait en particulier.
« Maman ! » A peine l'avait il remarquée qu'il désirait se jeter sur elle avant que quelqu'un ne le retienne par la manche afin de lui souhaiter pour la énième fois un noyeux janniversaire. Trop tard.
« Allez Ludd', viens souffler tes bougies et faire un voeu. » Il avait envie d'hurler à la conspiration, mais il se résigna à suivre sa grande tante. Le jeune homme se posa devant le gâteau et ferma les yeux.
Je ne souhaite plus JAMAIS vivre ce genre d'anniversaire. Et il souffla, souffla, souffla... Raté. Il restait encore une bougie, une survivante.
Et merde !« Dommage, tu feras mieux dans quatre ans. » Non, non et non !! Alors que tout le monde applaudissait en souriant, il se remémorait ses six anniversaires. Six ? A vingt-quatre ans ? Ça peut sembler étrange, mais le jeune homme est né le vingt-neuf février d'une année bissextile. Un fait si rare que ses parents avaient décidé lui souhaiter tous les ans son anniversaire le premier mars, mais de ne faire de grosse fête avec amis et famille que tous les quatre ans. Jusqu'à ses douze ans, il avait adoré ça. Depuis, c'était un calvaire. Surtout ces deux derniers, où tout le monde l'avait bassiné afin qu'il reprenne le cabinet d'avocats de son père. A seize ans, il avait répondu "
on verra", sans conviction. A vingt ans, "
je ne pense pas", sans y croire réellement. A vingt-quatre ans, il répondait "
sûrement pas", sans aucune hésitation.
⚡⚡⚡
« Je... j'ai bien réfléchi. Et je pense qu'il vaut mieux qu'on arrête là... » Sarabi était rentrée dans l'appartement du jeune homme à peine quelques secondes auparavant, et elle n'avait même pas pris la peine d'enlever son manteau. Elle avait les yeux rouges, rouges de douleur, mais ne pleurait plus. Elle avait décidé de prendre un air sûr d'elle, un air auquel il ne pourrait pas faire face. Elle avait prit sa décision ; c'était la meilleure chose à faire. Elle n'avait pas le droit de lui faire ça. Pas le droit de lui imposer un tel fardeau.
« De... de quoi tu parles ? » Il avait perdu le sourire qu'il avait arboré en la voyant débarquer chez lui. Bien sûr, il se doutait de ce qu'elle entendait par là, mais il ne voulait pas y croire. C'était impossible. Elle ne pouvait pas tirer un trait du jour au lendemain sur trois ans de vie commune et trois mois de fiançailles. Non. Il y a quelques jours, elle voulait scander au monde qu'elle était folle amoureuse, et aujourd'hui... Non, c'était une erreur, il perdait la tête.
« De toi et moi. Nous... Je crois que je ne t'aime plus. Je ne veux pas jouer un rôle. Je préfère qu'on arrête tout. » Et pourtant, tout devint clair pour Luddy avec ceci, et la bague que la jeune femme tenait dans sa main. Sa bague de fiançailles, la bague de sa grand mère, elle lui la rendait. Il ne pouvait ôter ses yeux de l'objet, fronçant les sourcils comme pour se réveiller du cauchemar qui prenait forme.
« Tu plaisantes ? Dis moi que tu rigoles. » Ils s'étaient rencontrés des années auparavant, à son arrivée en ville. Elle venait voir un ami, il réparait l’ascenseur de l'immeuble. Une blague, deux mois d'amitié, un diner au restaurant, un baiser volé, quelques coupes de champagne et cinq ans plus tard, nous y voilà.
« Je me demande même si je t'ai aimé un jour. » Elle mentait. Et mal en plus. Mais le jeune homme ne s'en rendait pas compte, trop absorbé par ce qui se passait. Tant mieux se disait-elle, tant mieux. Son coeur était déchiré, non seulement de le voir dans un état pareil, mais aussi parce qu'elle ne voulait pas que tout s'arrête entre eux. Elle l'aimait, à un point auquel elle n'avait jamais penser chérir quelqu'un ; mais son choix était fait. Cela faisait deux jours que son médecin lui avait annoncé la nouvelle. Deux jours qu'elle retournait leur conversation dans sa tête. Elle ne pouvait imposer à l'homme qu'elle aimait de la voir souffrir jour après jour, une attente sûrement vaine d'un coeur en bonne santé, quelques années de bonheur et toute une vie de deuil. Elle ne le pouvait pas, elle ne le voulait pas.
« S'il te plait, tais toi... » Qui a dit que les hommes n'ont pas de coeur ? Si c'est vrai, Luddy n'est alors pas un homme. Ses sourcils ne défronçaient pas, et les larmes perlaient sur son visage.
« J'ai embrassé quelqu'un d'autre l'autre jour, et je n'ai rien ressenti. Pas de culpabilité, pas de tristesse. Rien. » Mentir. Mentir était la seule chose qu'il lui restait à faire. Lui lister tout un tas de choses fausses, afin qu'il la déteste. Si il lui en voulait, il aurait moins de mal à l'oublier, à passer à autre chose, à refaire sa vie. Elle n'en avait pas envie, mais il le fallait.
« Arrête ça. Arrête ça de suite ! » Il avait prononcé ça calmement, avant de se diriger vers la fenêtre, perdant son regard sur la rue qui s'offrait à ses yeux.
« J'ai même songé à coucher avec pour... » Sans bouger, il la coupa net. Il ne pouvait pas entendre un mot de plus. Pas encore un aveu, ça l'enterrerait.
« Tais toi ! Et sors. Je t'en prie, sors, sinon je vais faire une connerie. » Sarabi retint ses larmes et s'approcha de lui, posant une main sur son épaule. Bon dieu ce que cette conversation la tuait à petit feu.
« T'as compris ? Casse toi !! » Elle se retourna, déposa la bague sur la table de l'entrée, et sans un mot de plus, quitta l'appartement d'un homme en pleurs qu'elle n'oubliera sûrement jamais...
⚡⚡⚡
« 'Tain Ludd', tu fais chier ! Comment ça se fait que t'as toujours une main pareille ? T'es cocu ou quoi ? » Agacé de n'avoir que des jeux pourris, Donovan jeta violemment ses cartes sur la table. Neuvième partie, neuvième main à la con. Il pouvait balancer n'importe quelle carte à chaque tour, ça aurait été le même résultat. Aucune tête, aucun atout. Ah le tarot, jeu favori de la famille Malrow. Une fois de plus, ils étaient tous les cinq assis autour de la table ; les parents, Luddy, et les deux jumeaux, cadets du jeune homme de deux ans.
« Tu crois pas si bien dire... » Lui, qui avait une nouvelle fois gagné, distribuait les cartes à toute la tablée alors que la mère était partie sortir les cookies du four. "Jeu de champion, encas de champion", comme elle aimait à répéter. Le jeune homme sentait les regards intrigués sur lui. Il souffla, et sans lever les yeux continua sa tirade.
« Elle m'a jetée hier... Me disant qu'elle m'avait trompée et qu'elle ne m'aimait plus. Et même, qu'elle ne savait pas si elle m'avait aimé un jour... » Voilà, les cartes étaient distribuées. Il eut juste le temps de voir que Donovan et Ruth s'échangeaient un regard qui en disait long. Communiquaient-ils par la pensée ? Ça ne l'aurait pas étonné. Néanmoins, il se questionnait.
« Quoi ? » Que pouvaient-ils lui cacher ? Ça sentait l'embrouille cette affaire, ils en savaient un peu trop, même plus que lui, le principal intéressé, apparemment.
« Non rien, on se disait juste que... euh... » Luddy fronçait les sourcils, intrigué. Donovan n'eut pas le temps de finir, ni de chercher à ce qu'il pourrait dire, que sa jumelle prit la suite.
« ... que c'était tout de même pas cool. Voilà tout. » Mouais... tant pis. Luddy n'avait pas envie de parler de ça une seconde de plus, ça lui faisait trop mal. C'était trop douloureux de se remémorer que la femme qu'il pensait être sa moitié, avec laquelle il pensait finir ses jours, avec qui il avait passé trois années de sa vie venait de le larguer du jour au lendemain, sans plus d'explications. Il n'avait qu'une envie : passer à autre chose. Il ne releva donc point. Mais il ne risquait pas d'oublier que ces deux là lui cachaient quelque chose.