Step 2 ♕ où l'on en vient à se parler pour la dernière fois

Elle est nue sous la fine couverture, enroulée dedans comme une grosse tortilla, les cheveux emmêlés, le maquillage étalé autour de ses yeux, et elle gueule ; elle ne crie pas, elle gueule. Pourtant elle n'a jamais été aussi belle, ni aussi désirable. Devi n'a jamais eu le droit de la toucher, et Dieu sait comme il en a eu envie. Arya aime se jouer de ça, de lui ; embrasser ses lèvres, ses joues, son torse nu. Même se promener dans la maison entièrement nue, pour le simple plaisir de le voir la suivre du regard avec envie et admiration. Mais pour l'heure, Arya n'est ni aguicheuse, ni câline. Elle hurle à la mort, pleure comme une enfant, tape du pied en faisant les cent pas sans se soucier guère de réveiller les voisins. Le drap glisse légèrement dans son dos quand elle se baisse pour attraper au sol son énorme peluche violette. Un éléphant qu'elle ne quitte pas depuis sa naissance. Debi en possède un aussi, un chat bleu ciel. Son éléphant à elle s'appelle Cadavre. Cadavre essuie les larmes sur ses joues. Elle hoquette. « Répète encore une fois la putain d'infamie que tu viens de proférer ! » C'est elle la putain d'infamie. Devi tressaille à chaque grossièreté qui franchit ses lèvres prudes. Elle avait dit une fois qu'elle se donnait le droit d'être vulgaire pour la simple et bonne raison qu'elle connaissait le sens de chaque injure, chaque insulte qu'elle se permettait. Elle avait toujours dit que les belles paroles, elle les réservait pour les occasions particulières. A ce jour, Devi n'y a jamais eu droit. « Fais pas l'enfant Arya. J'ai juste dit que c'était malsain. Si maman s'en rend compte... On est mort. » Il a les mains dans les poches, est adossé au mur comme si il ne se déroulait qu'une banale conversation, entre deux personnes tout aussi banales. On y croirait presque. « Ya aucune putain d'infamie là dedans. » « Parler de nous comme ça, c'EST une putain d'infamie ! T'as pas le droit de dire que c'est malsain ! Et jusqu'à maintenant, ça t'as jamais gêné de me tripoter ! Moi ce que je vois, c'est de l'amour, parce que je t'aime moi Devi, mais bordel, t'es vraiment qu'un con... » sa voix se meurt en un sanglot déchirant. Devi la soupçonne de faire exprès. Arya a toujours été exubérante et trop éloquente, un brin manipulatrice aussi. Néanmoins, son chagrin ne manque pas de lui serrer le cœur. Il ne perd pas ses moyens pour autant, poursuit sur sa lancée en serrant les dents. « Alors je te quitte. » Ses paroles mettent un terme, net et sec, aux pleurs de sa jumelle. Interloquée, elle le regarde, ancre un regard d'azur au fond de ses propres yeux. Il y décèle, non sans appréhension, de la colère et un sentiment de trahison qu'il s'efforce d'ignorer. Elle éclate de rire, un rire qui frise l'hystérie, c'est glaçant. Mais ses yeux ne rient pas. « Tu me quittes ? Tu ne peux pas me quitter. D'aucune manière, t'entends ? » Son ton est menaçant. Il rentre le cou dans ses épaules. Ses mains tremblent. Il a une putain d'envie de café, et il sait en même temps qu'il faut qu'il prenne ses cachets. Les fourmis courent dans ses jambes. « Je peux pas continuer. C'est une impasse Arya, c'est comme si je voulais toucher le feu, passer ma langue dessus et le caresser avec le bout des doigts, c'est impossible. On est pas faits pour ça, c'est pas... normal. » La vérité ? Bien des fois ils se sont demandé pourquoi, pourquoi eux. Pourquoi ils s'aimaient alors que ça ne rentrait visiblement pas dans la norme des choses. Les baisers entre frères et sœurs, jumeaux qui plus est, sont passés inaperçu... jusqu'à un certain âge, un âge ou en théorie ils auraient du se tourner vers d'autres. Impossible d'arrêter, la machine était lancée. Ils ont réussi à dissimuler leur secret, très longtemps ; mais à présent, un sentiment d'urgence agite Devi. Plus il se sent amoureux d'elle, plus il se sait perdu. Il était en train de les enchaîner à une relation destructrice, plus que toute autre, car elle ne les mènerait qu'au néant, à la déception et à la frustration. Elle a raison, jusqu'ici, il a su faire avec. Mais l'aimer devient insupportable, chaque jour est une torture. C'est un crève-cœur de lui asséner ces paroles, de lui infliger la peine qu'il ressent. Mais c'est nécessaire. Arya le fixe, blafarde, le visage plus ravagé que jamais, où l'incompréhension s'est peint. Elle pleure réellement, cette fois, de grosses larmes silencieuses roulent sur ses joues. « Fils de pute, » chuchote-t-elle, « En fait, t'es juste pédé, mais tu veux pas me le dire, c'est ça ? » C'est plus fort que lui, un ricanement nerveux s'écoule de ses lèvres. « Bordel, et ça te fait marrer ! Je ne t'aime plus Devi, fini, retourne pleurer dans les jupes de ta mère, c'est tout ce que tu sais faire. Tu ne m'as jamais satisfaite de toute façon. » Son rire prend de l'ampleur. « Parce que tu ne m'as jamais laissé faire ! Espèce de sainte-n'y-touche ! » Arya n'est pas dupe, elle sait qu'il dit vrai, mais refuse de l'admettre. Elle est blessée, et ne se prive pas de lui rendre amèrement la monnaie de sa pièce. « Si tu savais qui m'a baisée la semaine dernière, tu dirais pas des conneries pareilles. Allez je me casse. C'est la dernière fois que tu me parles, que tu me touches, que tu me regardes. Tu peux oublier tout ce qu'il s'est passé puisque ça te pose un tel problème de conscience, et pendant que tu y es, tu peux oublier qu'on est jumeaux. D'ailleurs, je le fais avant toi, je te renie. Adieu Dev. » Elle se penche, ramasse ses affaires, fuit de sa propre chambre. Laissant Devi seul, désemparé. C'est encore pire que ce qu'il avait imaginé.