« Bonsoir. J'aurais besoin des services de monsieur Wireman, tout de suite, à Arcadia. » « Je suis navrée, madame, mais cet employé ne passe jamais à Arcadia. Un autre sera là plus rapidement et vous offrira un meilleur service. » « Je me fiche de la qualité du service. Je vous ai déjà dit que je voulais monsieur Wireman, immédiatement. Vous fixez les prix, laissez-moi fixer les exigences. » « Euh... bien madame. » « Et je veux le garder a mon service pour une semaine. Complète. »« Mais madame, ce n'est pas une pratique qui... » « M'obligeriez-vous à me répéter ? » Alix ne prit pas même le temps d'écouter le 'non' grommelant qu'il allait tenter de formuler, elle coupa la communication, le sourire aux lèvres. La richesse lui octroyait le droit de céder au moindre de ses caprices, et elle n'était pas femme à s'en priver. Pire encore, elle en profitait allégrement, se servant du commun des mortels comme une odieuse manipulatrice en quelques paroles bien senties. Et finalement, elle gagnait toujours ce qui lui faisait envie. Plus de secret, plus d'aventure, personne ne se montrait capable de l'envoyer aisément balader, et chacun se courbait devant ses caprices de diva orgueilleuse. A tel point même que c'en était exaspérant. Pourtant, un être avait su ajouter une nouvelle sorte de piment à sa vie. Un être l'avait laissé sur la touche, n'avait pas obéi à ses requêtes comme n'importe quel autre l'aurait fait pour l’appât du gain. Un être qu'elle devrait remercier pour cette surprise amusante, mais qu'elle s'apprêtait à lourdement punir. Et le sourire aux lèvres ! C'était un amusement certain qu'elle trouvait à l'encontre de ce cher... comment déjà ? Ah oui, Pâris, et elle n'escomptait pas le laisser passer avant d'en avoir profité au maximum. Et s'il était encore capable de lui répondre avec la même hargne que lorsqu'il l'avait abandonné sur le bord de la route, alors Alix riait d'avance à la suite de cette aventure qu'elle avait expressément mis sur la route du destin. Aucun hasard la dedans. Juste la préméditation d'une femme divine s'octroyant le pouvoir de décider de son sort.

En attendant son taxi, Alix lisait une œuvre qui lui était jusqu'alors inconnue de ce cher Shakespeare, tout en buvant son thé -non, pas de petit doigt en l'air. Qui aurait pu penser que derrière cette femme snob et capricieuse aux apparences angéliques mais à l'âme corrompu se cachait une passionnée de littérature pour qui les lignes n'avaient plus de secret ? Qui aurait pu penser que derrière cette mascarade d'ironie et d'humour sombre s'abritait un coeur détruit incapable de pleurer de nouveau, car dénué à ce jour de la moindre petite larme ? Oh, personne. Aux yeux du commun des mortels, Alix ne possédait d'autre faiblesse que sa grande richesse qui la corrompait à petit feu, la transformait en femme orgueilleuse et arrogante. Mais n'était-ce pas elle qui, de toutes pièces, s'amusait à se créer ce rôle plaisant, désireuse de laisser à son âme sauvagement anéantie le temps de se reconstruire ? Non, Alix n'était en rien la femme démoniaque que l'on se plaisait à décrire et que l'on souhaiterait fustiger, elle désirait simplement laisser cette vision aux autres que celle d'une demoiselle détruite par l'amour, tellement dépressive qu'alors la vie ne semblait plus avoir le moindre sens. Était-ce un crime que de vouloir protéger ses faiblesses et ses défauts ?

C'est au bruit d'un moteur non loin de chez elle qu'Alix laissa tomber son livre sur la petite table basse de son salon, et qu'elle prit le temps de ranger sa tasse. Après tout, cet homme était à son service et, qui plus est, se ferait grassement payer, il pouvait bien donc attendre deux minutes non ? Jetant un œil par la fenêtre, elle sourit à la simple vue du conducteur. Oui c'était bien lui qui, un jour, désireux de combattre le démon qui avait pris place à ses côtés dans son taxi et de le punir pour tant d'irrespect, l'avait laissé sur le bord d'une route quasiment déserte. Drôle de manière d'apprendre la déférence.. En fait, il ne risquait que représailles qu'il apprécierait sans doute moins que sa petite farce de la dernière fois. Finalement, Alix n'avait eu qu'à appeler un autre taxi, mais celui-ci avait mis plus de trois quart d'heure avant de la trouver... trois quart d'heure passés à attendre sur le bord d'une route telle une vulgaire putain ! Autant dire que la situation, certes cocasse, n'avait de suite pas véritablement plu à la jeune femme. Néanmoins avec un peu de recul, elle la trouvait si amusante, si... distrayante ! Tellement qu'elle ne craignait même pas de retenter l’expérience en jouant ainsi avec le feu. « Bonsoir. Tu te souviens de moi, j'imagine ? » lança-t-elle en ouvrant la portière, un grand sourire narquois sur le visage. Le tutoiement n'était pas à ses yeux une marque d'irrespect, plutôt celle d'une affection nouvelle qui se traduisait par son désir de jouer. Un jeu dangereux, qui risquait de les mener tous deux vers les extrêmes de leur patience, mais un jeu qui la délectait déjà.

Alix prit place à l'avant, une coutume bannie de l'idée même de taxi, mais qu'elle ne se refusa aucunement. Plus facile, ainsi, de parler avec le conducteur, et de voir dans son regard l'appréhension. Oui, c'était le mot. Ce cher... ah oui, Pâris paraissait craintif à sa simple vue. « Oui, je suis bien celle que t'as abandonné sur une route. Comme tu le vois, j'ai pu rentrer... mais j'ai quand même mis un petit moment. Heureusement, il faisait pas trop mauvais. » Elle retraçait les faits sans se délester de son sourire provocateur, celui qui lui avait valu d'être jeté en dehors de la voiture. Son but ? Oh, attiser la crainte de mister Wireman, sans aucun doute, jouer avec ses émotions pour qu'il comprenne à son tour que tout ceci n'était qu'un jeu, qu'une mascarade. Nulle punition là-dedans, simplement le désir de lui rendre la pareille, en espérant bien sur qu'il ne se laissera pas faire trop facilement et se montrera un adversaire à la hauteur. « J'ai une excellente nouvelle pour toi ! C'est à mon service que tu seras... toute la semaine ! Et plus encore si je décide que ton service est médiocre. »