« Fox, on ne coupe pas sa salade avec son couteau ! » Je lève les yeux. Mon visage, froid, dur, déjà proche de la colère, se trouve à des lieux des jolies minois des autres fillettes de mon âge que je fréquente quotidiennement à l'école. Douze ans, un caractère de chien, une impulsivité frôlant la démesure et une belle gueule déformée par la glace... A ma gauche, mes deux frères et ma sœur m'observent d'un œil dépréciateur, délaissant momentanément leur repas pour m'offrir toute leur aversion à mon égard. Royalement, je les ignore, enfournant sans cérémonie une énorme feuille de salade dans ma bouche. Qu'est-ce que j'en ai à foutre de leurs opinions quant à mon comportement ? Franchement, si je devais réagir à toutes les crasses qu'ils avaient pu me faire, à cette hypocrisie qu'ils s'épuisaient à me balancer dans la gueule, à ce ton cérémonieux qu'ils adoptaient à chaque fois qu'ils ouvraient la bouche, j'aurais pas fini... Non, vraiment, leur accorder tout ce temps serait un trop beau cadeau pour leur égo respectif et je préfère de très loin leur jeter mon insolence à la gueule tout en ignorant superbement cette bourgeoisie à la con qu'ils affectionnaient tant. Sérieusement... Couper sa salade à la fourchette... Faut être con ou avoir un sacré temps à perdre. C'est donc sournoisement que je mastique mon entrée, plongeant un regard provocateur dans les prunelles sévères de mon paternel. Celui-ci serre les dents - je peux voir ses mâchoires se contracter presque violemment - avant de retourner silencieusement à son propre repas. Ma mère, elle, se contente de m'observer avec cette même froideur qui caractérise mes traits. Rien à foutre. Je sais que mon heure viendra... Mon père n'élève jamais la voix pendant les repas, soucieux de faire de cet instant un moment familiale. Mais je le connais désormais assez bien pour savoir qu'il finira par me coincer dans la cuisine et me faire part de son mécontentement. Bien sûr, jamais il ne lèvera la main sur moi... Il sait à qui il a à faire. Il sait que ma mère ne le lui pardonnerait pas. Il sait que je n'hésiterais pas à répliquer. Et, malgré le regard malveillant qu'il s'évertue à poser sur moi, je reste sa fille. Une fille bien loin de ses attentes. Une fille qu'il ne comprend pas. Une fille qu'il n'a pas réussi à éduquer comme ses trois autres enfants. Mais une fille quand même. Sa fille.