« Allez-y madame, vous y êtes presque ! »
Sans vouloir faire de dessin, voici ce qui résonnait dans les couloirs de l’étage maternité. On comprendra vite un accouchement, plus ou moins banal. Encore un gosse qui allait arriver dans ce joli petit monde. Les minutes passaient tranquillement, sans rien qui ne puisse les troubler, à part les quelques cris de douleur de la femme au travail, et les encouragements de son mari. Puis, au bout de quelques minutes, c’était les pleurs d’un gamin. Bref, en gros, je suis né, 23h00 pétante. A voir les deux parents côte à côte, on n’aurait pas su dire lequel des deux était le plus heureux de voir ce joli bambin, qui était désormais le deuxième de la fratrie Blackson. Ma mère avait décidé de me prénommer Dexter. Je n’ai pas compris pourquoi, mais c’était comme ça. Quant à mon père, il avait opté pour Reese, mais cédant tout à sa femme, il en fut ainsi. Dexter Reese Blackson, bonjour, j’suis là.


Là, j’ai rencontré mon frère aîné, qui n’avait pas eu l’autorisation de venir me voir à la maternité. Moi qu’on disait gueulard, ce n’était rien comparé à Evan. Et je cours par-ci, et je cours par là, et je soûle mon petit monde, et j’accapare l’attention. A ce qu’il paraît, gamin, je lui aurais envoyé mon hochet dans le pif, en un coup bien visé. Je devais en avoir marre. Et puis, après tout, c’était bien fait. Bref, mis à part ce détail qui, ma foi, est quand même assez amusant, il y avait mes parents. Mon père, et ce depuis une bonne poignée d’années, était l’heureux rédacteur en chef d’un journal, un quotidien plus précisément. Ce machin, il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Un homme impulsif, sérieux, et bourreau du travail, mon géniteur…M’enfin sinon ça va, il était gentil (et révulsé par mes couches à ce qu’il paraît héhé…). Et puis, il y avait ma mère. Dans le genre maman poule, qui nous colle au train tout le temps, on ne trouvait pas mieux. Elle ne travaillait pas, s’occupant de notre fratrie avec une attention particulière. Pour une raison inconnue, il lui était impossible de nous confier, Evan et moi, à une autre personne qu’elle. Parano aussi, la génitrice…A l’époque, je n’étais encore qu’un bébé de toute façon. Je dormais, mangeais, observais ce joyeux petit monde. Un programme de nouveau-né quoi. Evan me surnommait « le Nain ». Chaque fois qu’il en avait l’autorisation, il se penchait sur mon berceau, me regardant comme si j’étais un mystère à part entière du monde humain, arrêtant ses multiples activités juste pour ces petits moments. C'est certain que vu son caractère turbulent, on le laissait rarement s'approcher de trop près... Boarf, sinon ? J'étais le petit dernier, le petit protégé, adulé de toute personne qui passait le pas de la porte d'entrée. Ne cherchons donc pas à comprendre le pourquoi du comment, c'était ainsi. Une famille heureuse et soudée avec deux gamins aussi braillards l'un que l'autre.


« JE T'ATTRAPE LE SHTROUMPH, T'ES MORT !!! » hurla un Evan, complètement hors de lui. A l'autre bout du salon, un môme, complètement mort de rire, tenant dans ses mains une quelconque lettre d'invitation pour un anniversaire. Le rôle du sale gosse, c'est évidement ma petite personne. Mon grand frère s'était mis à courir vers moi, toutes griffes dehors pour récupérer l'enveloppe. Trop heureux de continuer ce petit jeu, j'avais pris la fuite, riant à tout va. La course poursuite du continuer une bonne vingtaine de minutes, durant lesquels des jurons innocemment grossiers fusèrent de toutes parts. « Attrape moi si tu peux Evan, nananèèè...AïEUUH MAMAAAAN! ». Parce que oui, il n'y avait qu'un seul boulet capable de se prendre l'armoire de plein fouet, capable de tomber sur le cul, et de mettre une bonne poignée de secondes avant d'avoir une quelconque réaction, moi. Mon frérot leva les yeux au ciel, récupéra ce qui lui appartenait et allait s'affaler sur le canapé en entendant le claquement familier des talons de notre mère contre le parquet du couloir. Elle débarqua, mi affolée, mi agacée par ses chers bambins. Faut dire, à l'époque de ces chamailleries, elle était enceinte jusqu'aux yeux. Une fille. Je trouvais ça nul, c'était pas drôle une fille, en plus ça jouait aux poupées. Berk. J'étais un petit garçon joueur, déjà à l'époque. Comme chaque gosse de mon âge, à l'école, je travaillais, et j'embêtais les filles. La petite rivalité, avec le recul, c'est mignon tout plein. Toutefois, je ne voulais pas de petite sœur. D'une part, parce que mon cher frère m'avait énoncé un par un tous les défauts que cela allait engendrer, d'autre part, parce qu'en charmant enfant égoïste, j'avais pas envie de partager ma mère encore une fois. Et puis sa chambre, à la petite, c'était trop rose. La cervelle d'un enfant, ça paraît parfois tellement simple que ça en devient compliqué. Mon père, qu'on ne voyait pas si souvent, reprenait le même scénario du futur géniteur fou de joie d'accueillir un nouveau membre dans la famille. Une fillette, qui plus est. Ah ben ça oui, lui, il était heureux.


Je comprenais mieux l'ébahissement d'Evan à ma naissance. Du haut de mes 4ans, j'observais ma petite sœur. Mes parents l'avaient nommée Phoebe. J'étais loin de la connaître, mais je l'aimais déjà bien. Pourtant, elle n'était pas vraiment plus grande que le chat, avec de toutes petites mains, de tous petits pieds, de toutes petites oreilles...Oui, un petit bébé tout mignon. Dommage, je ne pouvais pas jouer avec, elle dormait trop. Et puis, on avait vu plus réactif. Papa, on ne le voyait plus trop ces derniers temps. Il était toujours à travailler comme un taré, pour au final parfois jeter des pages et des pages de ses écrits, qu'il jugeait pitoyables. En temps que gamin affectueux, je cherchais toujours à le tirer de ses corvées pour jouer avec lui. Ma mère ne cessait de me répéter qu'il avait autre chose à faire, je tenais bon. Mis à part Evan, à la maison je me sentais quand même un peu seul à l'époque. Les parents nous refusaient des animaux de compagnie, sous prétexte des multiples contraintes que cela engendrait. Le seul animal que nous ayons eu, ça aura été un poisson rouge. Durée de vie, 3 jours. Cause de la mort, suicide. Au moins, ça, c'était fait. Ça m’agaçait de l'admettre, mais en fait je le comprenais mon frérot. C'était à mon tour de multiplier les apparitions stupides pour qu'on m'accorde un peu d'attention. Ces jours là, le terme 'enfant' prenait en général tout son sens.
Du coup, je me cherchais des occupations, quand je n'en trouvais pas, je râlais. Je voulais que Evan arrête d'être grand et que Phoebe grandisse. Oui, en fait, ça me paraissait simple.


« Dexter ! Y a maman qui recommence !! ». Phoebe débarqua dans la pièce en pleurs, courant comme si sa vie en dépendait, pour me sauter dans les bras. Il n'y avait pas besoin d'explications pour que je comprenne ce qu'il se passait à l'étage. Cette année là, notre vie idyllique avait été complètement chamboulée par une chose que personne n'aurait pu prévoir : notre mère perdait complètement les pédales. Au début, on avait tous les trois trouvé ça drôle de la voir délirer. On pensait qu'elle plaisantait. Au fur et à mesure des jours, la vérité s'est imposée à nous, il y avait réellement un problème. Evan avait tenté d'en parler à notre père, il n'y avait pas eu de changement. En plus de semer la zizanie dans l'ambiance familiale, cela nous divisait complètement. Aussi impulsif que j'étais, il ne m'avait pas fallu très longtemps pour me disputer avec mon géniteur parce qu'il ne faisait rien, ensuite avec mon frère, parce que selon lui je n'avais pas à me disputer avec une quelconque personne pour cette raison. Ma sœur, dans l'histoire, elle ne savait jamais où se mettre, préférant se coller à moi quand la situation ne lui plaisait pas. Il fallait comprendre, très souvent. Je ne voulais pas d'une sœur, mais au final, je n'avais aucun regrets...L'avantage, c'était qu'au vu de notre âge, on passait les journées à l'école. Autant le dire, je n'avais pas le profil du bon élève. Je dormais, je rêvassais, je n'écoutais pas, ce qui me valait souvent les foudres des professeurs, qui se faisaient un malin plaisir de me réveiller à coup de bouquin sur le crâne. Ceci étant dit, il ne fallait pas se méprendre : je n'étais ni con, ni attardé, juste un brin flemmard. Mes notes survivaient tout juste à un échec scolaire pur et dur. Pour mon père, c'était intolérable. M'enfin, il n'était pas le mieux placé pour comprendre que j'avais autre chose à penser.

Quelques disputes plus tard, sur le pas de la porte.

« Mais tu te fous de nous Dexter ?! Si t'es pas content dégage ! » « Evan, arrête, laisse le tranquille ! » « Tu sais quoi ? Va te faire voir Evan. » . Vous remarquerez une charmante discussion. J'avais 19 ans. Durant plusieurs années, la situation n'avait pas bougé. Je m'éloignais de Evan, même Phoebe se faisait distante avec nous. Je ne supportais plus de rester confiné dans cette maison de malheur, qui abritait anciennement une jolie jeune femme, désormais vieille folle. Je ne voulais plus attendre que la vie passe aux confins de cet univers familial. Peut-être que mon grand frère voulait rester auprès des parents, et travailler pour leur faire plaisir, ce n'était pas mon intention. Ce jour là, j'étais rentré après une nuit passée ailleurs. Comme un con, j'avais oublié mes clefs, j'avais donc tapé à la porte. Se faire agresser parce qu'on a une vie, ça me dépassait. Le ton était très vite monté pour aboutir à cela. Phoebe avait retenu de justesse le poing de l'aîné, qui serait sans doutes malencontreusement parti en ma direction. Il me haïssait, je le savais, et pourtant, ni lui ni moi ne faisions quelque chose pour arranger la situation. Personnellement, je mourrais d'envie de lui encastrer la tête dans le mur, pour lui apprendre les bonnes manières. Sauf que d'une, la violence ne servait à rien, de deux, pas en présence de notre sœur. Elle subissait déjà assez nos crises quotidiennes. Ajouté à cela, les crises d'hallucination de notre mère, je ne comprenais pas comment elle résistait à la tension ambiante. Encore par dessus tout ça, il y avait eu la fois où Evan m'avait trouvé au lit avec un homme. L'annonce de mon homosexualité n'avait pas fait que des heureux, loin de là. Mon père avait clairement décidé de me renier, et de me déshériter. Pourquoi pas, si ça lui faisait plaisir. Trop occupé par son boulot, que je sois sous son toit ou non, il s'en fichait. Mais alors, éperdument. Remarque, moi aussi.

Environ un an après, dans une chambre d'hôpital.

« Dexter. Je vais te laisser les rênes du journal. » Pour la première fois depuis des années, quelque chose sorti de la bouche de mon père me fit rire aux éclats, si bien je manquais de m'étouffer avec le verre d'eau que j'étais en train de boire. Je le savais capable de faire de l'humour, mais là, il faisait fort. Mon hilarité se dissipa rapidement, quand je remarquais qu'il n'y avait aucun sourire chez mon paternel. Merde, il était sérieux. Je le regardais, maintenant complètement ahuri. « Tu te fous de moi ? » « Non. Je n'ai jamais été fier de toi, ce sera peut-être la dernière occasion que je puisse avoir. » Merci papa, tu me fais très plaisir là. Franchement, je ne comprenais pas sa décision. Durant plusieurs mois, je n'existais plus à ses yeux, et voilà que ce jour là, après un accident cardiaque qui aurait pu lui coûter la vie, il me donnait la direction d'un travail de toute une existence. Qu'est-ce que j'étais censé y connaître ? Rien, rien du tout même. Pourtant, tout m'indiquait que je n'avais pas le choix. Ces derniers mois, Evan était parti de la maison familiale, s'isole on ne sait où, Phoebe s'est aussi mise à prendre de la distance, et moi...rien. Je n'ai absolument rien fait. En l'espace de quelques mois, j'avais juste réussi à m'attirer les foudres de mon frère, à envoyer ma mère dans un centre...pour les gens comme elle, et à avoir une relation sérieuse avec un mec. On s'était plus ou moins tombé dessus, au boulot. Ça avait très vite (trop vite) collé. Tout c'était enchaîné à une vitesse vertigineuse, on avait fini avec une histoire sans vraiment de bases solides. J'avais eu l'illusion d'être amoureux. Ou plutôt, et malheureusement pour moi, je l'étais. Jusqu'à ce que je le découvre dans le lit, avec un autre type. Avec le recul, il m'arrive de me dire que la réaction que j'ai eu, faisait légèrement fille en furie. Je me souviens avoir jeté l'intrus dehors -au sens propre du terme-, pour régler les comptes avec l'autre. Ce jour là, plus dans la haine que dans la douleur, je m'étais juré de ne pas retomber dans ce mensonge qu'est l'amour.

Mais peut-on toujours tenir nos promesses ?

que signifie le terme d'amour pour ton personnage ? → Amour ? Ma foi, c'est simple, quand ça te prend, mieux vaut partir en courant. L'amour, c'est le genre de truc aussi nocif que la drogue. Tu rentres dedans, t'es pas sûr de t'en sortir en bon état. T'es dépendant, aveugle, accessoirement con. Tout ce qui se passe autour de toi t'es absolument indifférent, y a juste CETTE personne. Pff, franchement, à quoi ça sert ? La liberté, c'est bien aussi. Pouvoir faire ce qu'on veut, quand on veut, comme on veut, sans quelqu'un pour nous brimer juste derrière...Au début, on a les parents, c'est pas suffisant ? Personnellement, si. Pas de concessions à faire, prendre la vie au jour le jour...Ouais, y a pas à dire, l'amour, on s'en passerait bien.

quel est le statut amoureux de ton personnage ? → Célibataire, mais le coeur pris...Ou plutôt célibataire tout court...Ou tout simplement en couple mais refuse de l'admettre ? C'est assez compliqué. Je tente d'échapper à "l'amour" en voulant y céder, et en refusant que ce soit cela. Si vous avez compris, félicitations. Pour moi, je nage en plein brouillard sur ce sujet...On dira donc : Non. Hein ? C'était pas la question ?

quelles sont les préférences sexuelles de ton personnage ? → Homosexuel. Clairement, homosexuel. Même pas besoin d'y réfléchir, de peser les pour et les contre, c'est comme ça. J'ai testé les deux et...mon avis ne changera pas. Et puis sérieusement, une fille c'est chiant, non ?

comment ton personnage se voit-il dans l'avenir, du point de vue amoureux ? → Argh. Le moment présent est flou, alors se projeter dans l'avenir, c'est un peu dur, non ? Si je devais répondre...Je dirais, pas plus avancé que maintenant. Toujours célibataire (ou presque), en train de fuir des sentiments qui m'obsèdent et me pourrissent la vie. Pour autant, je me vois pas abandonner tout ça. Pff...C'est compliqué l'avenir, se poser des questions, c'est limite se torturer la cervelle pour un rien. Vous ne pensez pas ? Quand je dis que le célibat et les plans d'un soir, c'est bien, c'est pas pour rien.