Je vous causerai pas de mon enfance. Qu'est-ce qu'il y a à dire dessus, de toute façon ? Je suis née à Dallas, au Texas, j'ai toujours vécu dans un grand ranch avec papa maman et mes huit frères et sœurs. Grande famille. Des chevaux, deux chiens, jamais eu à me plaindre de quoi que ce soit – c'est cool, la vie de famille. C'était mon petit paradis à moi et parfois j'aimerais juste pouvoir remonter le temps et retomber en enfance parce que merde, la vie est trop compliquée.
J'ai grandi, j'ai eu mes diplômes, j'me suis lancée dans des études de droit et comme j'étais douée là dedans – certains diront surdouée – j'ai décroché mon premier job à vingt-quatre ans. J'étais jeune j'étais belle, j'avais encore tout l'avenir devant moi, j'étais juste heureuse et impatiente de bouffer la vie par les deux bouts, mais il a fallu qu'un foutu petit grain de sable vienne s'encastrer dans les rouages parfaits de mon existence pour tout balancer à la poubelle. Ce grain de sable s'appelle meurtre, un meurtre dont j'ai été le premier témoin oculaire, un meurtre impliquant un grand ponte, un pur salopard dont il suffit un ordre pour exécuter n'importe qui. J'ai commencé à avoir peur pour ma vie, je savais bien que je finirais pas l'année.
Et j'ai rencontré Perry.
« C'est vous ? Le prochain candidat à l'échafaud. » Yeux bleus cheveux gominés barbe de trois jours, l'air dur et froid mais je suis loin d'avoir peur. Il me fait plus rire qu'autre chose, j'ai vu pire que sa tête de celui qui s'est levé du pied gauche. Merde à la fin, si je suis témoin à protéger c'est pas pour rien. Je l'observe, j'essaie de me faire impassible mais je sais qu'il y a toujours la tristesse, là, au fond de mes yeux. Une tristesse qui me broie le cœur un peu plus tous les jours parce que bordel de chiotte des gens sont morts pour que je reste en vie, et ça fait mal, je mérite rien, je mérite pas qu'on se tue à la tâche. La peur aussi, j'ai pas envie de crever, pourtant ma vie ne tient plus qu'à un petit fil qui s'amincit de jour en jour ; il y aura un moment où il faudra se laisser tomber, du bon ou du mauvais côté peu importe mais ça arrivera. « Et vous ? Ca vous fait quoi d'être en sursis ? » Bang bang en plein cœur, j'ai mal mais j'ai l'habitude. Il est sec et cassant, ses yeux ressemblent à deux saphirs, durs et perçants. J'essaie de me retenir, j'essaie de soutenir son regard, manque de bol je suis trop crevée pour mener une nouvelle bataille. Alors je la ferme et je me contente de fermer les yeux. J'espère juste que c'est qu'un cauchemar, qu'en me réveillant je serai de retour dans ma vie bien rangée, mais voilà c'est la réalité et elle me donne envie de chialer.
Les jours passent et il me lâche pas d'une semelle. On se ressemble physiquement, certains nous prennent pour frère et sœur, mais il est brut de décoffrage, un peu vulgaire aussi, parfois c'est bien ça détend l'atmosphère mais souvent c'est lourd et agaçant. Entre nous c'est le feu et la glace, le bad cop chiant et lourd versus l'avocate bien propre sur elle. Mais voilà ça fait plus d'un an qu'on est ensemble quasiment H24 et les liens se nouent, les langues se délient, et j'peux affirmer que je l'aime bien même si merde, il me gave à vouloir tout le temps me remonter le moral. Il a beau dire que ça va aller, je sais bien qu'il ment, qu'il dit ça plus par habitude qu'autre chose. Fuck that shit, le mec en face il a le bras long, et combien d'histoires de protection de témoin se finissent bien de nos jours, hein ? Zéro, nada, niet, je sais bien que la peau de mon cul y passera, que ce soit demain ou dans dix ans. Il dit que je suis pessimiste, j'appelle ça du réalisme, la preuve c'est que le procès a encore été repoussé. Résultat on est sur les routes, on s'est barrés, il faut qu'on parte le plus loin possible de Dallas et de ce connard, faut qu'on se fasse oublier papa maman frangins sœurettes j'suis désolée.
J'sais pas quelle heure il est, j'ai perdu le sens de la durée. Je sais même plus depuis combien de temps on fuit, on se planque dans des motels crados, à attendre avec la boule au ventre. La chambre est comme toutes les autres, crasseuse sombre poussiéreuse et mal fichue mais c'est tout ce que je connais pour le moment, ça se résume à ça mon univers, ça et Calhoun Perry Whitefield parce que merde aujourd'hui je suis incapable de vivre sans lui. Je l'observe fixement, il est posté près de la fenêtre main posée sur le flingue les yeux fixés sur le portable intraçable qu'il s'est procuré je sais pas comment. Je l'observe et finalement je ferme les yeux, parce que je suis fatiguée et que je dors mal en ce moment. C'est toujours la même rengaine, partir fuir sans être sûre de vivre le lendemain matin, ça pourrait encore passer si je savais pas qu'il appelle sa nana dès qu'il peut. Et moi ? Moi j'dois me contenter d'écrire des lettres qui seront jamais postées, merde mes parents me manquent, mes frères et sœurs aussi, surtout Aidan parce que merde Aidan c'est mon frère jumeau j'ai besoin de lui et voilà j'ai envie de pleurer. J'en ai marre je me lève et je fais les cent pas, je sens son regard sur moi et j'ai envie de lui en coller une. « Calme-toi. Ne craque pas maintenant, pas maintenant que tu vois le bout du chemin, ce serait con. » Je me retiens, difficilement mais j'me retiens, tout ce que je fais c'est me planter face à lui, il fume encore ça pue la clope mais à ce moment précis j'en ai rien à cirer. « Aussi con que de penser qu'il y aurait une échappatoire ? » Ma voix fait des trémolos et je me hais un moment pour afficher aussi furieusement ma détresse, j'ai l'impression désagréable d'être le lapin qui court pour sa survie tout en sachant parfaitement que le loup l'attend devant le terrier. Ses mains sont sur mes joues et je craque j'me laisse aller, moins d'un quart d'heure plus tard le téléphone a sonné pour nous plonger un peu plus au fond du gouffre. J'vois plus la lumière je sais que j'vais crever mais j'le laisse me tirer à sa suite. L'Arizona ? Ouais pourquoi pas, ce sera toujours mieux qu'un foutu motel sordide.
Et voilà c'est fini. On est en Arizona, Phoenix, putain il fait beau et chaud c'est presque le paradis, mais j'suis encore plus paumée qu'avant. On est plus Calhoun Whitefield et Septembre Prescott mais monsieur et madame Whilobey maintenant, un « ami » faussaire de Perry qui nous a fourni de faux papiers. C'est beau l'amour, hein. Je sais même pas ce qu'il y a entre nous, c'est sûr c'est physique, une envie violente et indomptable, un putain de désir irrépressible sinon on aurait pas couché ensemble, on se serait pas envoyés en l'air après ma tentative de passage « de l'aut' côté » comme certains disent – l'enfoiré, il avait remplacé les cachetons par des bonbons. Ce soir-là on a pété les plombs couillonnés par le désespoir, c'était un peu le dernier repas du condamné ou la dernière clope du cancéreux du poumon, c'était bon c'était violent et ça m'a foutu la tête en vrac. Si je l'aime ? Je sais pas. Sans doute. Et ça me fout les boules parce que merde la maison les enfants le jardin la piscine et le chien c'est pas avec lui que je les aurai, c'est pas dans cette situation que je pourrai avoir quelque chose de stable, et puis fuck off il est maqué et moi qu'est-ce que je dois dire ? Ca me déprime ça m'rend malade, mais qu'est-ce que j'suis bien avec lui.

que signifie le terme d'amour pour ton personnage ? → un truc violent, inaccessible, et qui fait mal quand on arrive à y poser un doigt. l'amour, je l'ai jamais vraiment connu, il m'a toujours déçu et pourtant je lui cours encore après - à croire que je suis maso. l'amour, ça sert juste à faire pleurer dans les chaumières.

quel est le statut amoureux de ton personnage ? → j'crois que y'a pas plus compliqué. officiellement, sur le papier, j'suis mariée à un certain Whilobey, officieusement y'a pas plus célibataire. et au fond du coeur ? je sais pas qui y règne, je sais plus quoi penser, ça fait mal et j'ai juste envie d'aller me pieuter pour les dix années à venir. y'a simplement de quoi me foutre une migraine terrible mais tout ce que je sais c'est que tout ce qu'il y a entre lui et moi, c'était inévitable.

quelles sont les préférences sexuelles de ton personnage ? → j'veux un homme, un vrai. hétérosexuelle, donc.

comment ton personnage se voit-il dans l'avenir, du point de vue amoureux ? → l'avenir ? j'ai pas d'avenir. pour moi l'avenir se résume à savoir si y'aura pas un mec à ma porte pour me zigouiller demain. alors franchement, l'avenir amoureux, j'y pense le moins possible, pour ne pas dire jamais. c'est vrai, j'aimerais bien être mariée, porter fièrement une alliance à mon doigt, avoir des enfants et pourquoi pas un chien et une maison avec un grand jardin ? mais tout ça se résume à un joli rêve que je pourrai sans doute jamais réaliser, et finalement c'est peut-être pas plus mal.