C'est jeudi après-midi, t'es accoudée au comptoir, juste à droite de l'entrée et tu guettes les clients d'un œil distrait. Sous la main t'as une nouvelle de Maupassant, le Horla. Tu la connais déjà par cœur, mais tu continues de la feuilleter, juste parce que ça t'apaise. Depuis ce matin, le temps passe lentement, tu sais pas trop pourquoi. Peut-être parce que d'habitude, il passe dans la matinée, c'est comme ça, c'est son habitude et toi tu t'es calquée dessus. Il, Athon, lui. Le mec décalé, différent, plongé dans son monde. Et tu l'aimes bien comme ça, depuis le début. Parce que tu le connais pas vraiment, qu'il parle pas tellement. Parce qu'avec lui c'est jamais comme avec quelqu'un d'autre. Il a cette façon toute particulière de t'intriguer, ce truc qui te donne envie de le comprendre, de savoir. Mais aujourd'hui il est pas venu. C'est bête, mais t'as l'impression désagréable qu'on t'a posé un lapin. Pourtant, vous ne vous êtes jamais rien promis et à part les politesses d'usage entre quelques critiques de comics ou les discussion bateaux, y a jamais eu de grande et fabuleuse discussion. N'empêche que ca te chagrine un peu. En plus, t'as quelque chose pour lui.
A dix-sept heure, tu files entre les rayons pour faire un tour de routine, vérifier que tout est bien rangé, qu'il manque rien. Aussi, tu renseignes une dame âgée qui cherches des romans de capes et d'épées pour occuper ses longues soirées solitaires. Et pendant que t'es plongée dans tes explications, le tintement de la cloche retentit mais tu y fais pas attention. Il faut attendre que t'aies terminé pour lever les yeux et remarquer enfin celui que t'attendais malgré toi. Tu captes son regard, lui adresse un léger hochement de tête et lui fais signe de t'attendre trois minutes. Tu finis avec la cliente, t'éclipses en réserve pour fouiller dans ton casier puis le rejoins plus rapidement que tu ne le pensais. « Hey, Tu vas bien ? » en fait, tu lui laisses pas le temps de répondre parce que t'es trop pressée de lui montrer ta trouvaille. « Regarde ce que j'ai trouvé, je me suis dis que ça allait te plaire. Enfin c'était dans la réserve, avec les trucs que les clients oublient ici. » dis-tu à voix basse. T'as un comics entre les mains, tu sais pas vraiment ce qu'il vaut mais en le survolant la veille, t'as trouvé la similitude de noms de famille amusante. Alors tu lui tends. « Je sais pas trop ce que ça vaut, en plus il a l'air assez vieux. Mais Magneto, il a le même nom que toi en fait et j'ai trouvé ça amusant. Tiens. » Conclues-tu somplement. Dans ta voix, on sent une pointe de légèreté, comme une petite fille fière d'offrir un collier de nouilles crues à sa mère. Faut dire que t'y connais pas grand chose en BD et ces choses là. Toi, ton truc c'est plutôt la littérature. Alors à tes yeux, c'est pas le premier tome du volume un d'X-Men sorti en soixante-trois, c'est juste un comics, quelque chose de banal. Un petit geste pour quelqu'un que t'apprécies sans arrière pensée.