• St-Petersbourg, mars 1991.
« Vous êtes sure de vouloir faire ça ? » « Bien sur, ça fait neuf mois que vous me posez la question. » « C’est que, l’accouchement sous X ce n’est pas une décision à prendre à la légère… » « Parce que vous croyez que laisser un bébé à une toxicomane, c’est mieux ?... »
• St-Petersbourg, 16 mars 1991.
« C’est une fille, vous voulez la voir avant qu’on l’emmène ? » « Non. » « Il faudrait lui donner un nom… » « Faites comme vous voulez, je m’en fous. » « Ruslana, emmenez le bébé en couveuse. » « Ruslana… Appelez la Ruslana, ce sera parfait. » Silence de mort.
• Orphelinat de St-Petersbourg, juin 1994.
« Ruslana est une petite fille très calme et adorable. Vous allez voir, ça va très bien se passer. » Quelqu’un t’approches d’un couple. La femme pleure en te voyant, tu cherches à comprendre. Tu ouvres grand les yeux quand elle te prend dans ses bras. Pour lui faire plaisir tu te laisses faire. Ce couple est déjà venu te voir plusieurs fois ces derniers mois. Peu à peu, tu comprends que cette fois tu pars avec eux… Ils te prennent chacun par la main pendant que la directrice de l’orphelinat vous salue en souriant.
• Ecole publique de St-Petersbourg, décembre 2000.
Tu regardes le soleil froid de l’hiver russe par la fenêtre, pendant que tes parents adoptifs tentent d’expliquer les raisons de ton mutisme au directeur de ton école. Tu décides que c’est le moment, c’est le bon moment. Tu te tournes vers eux, tu racles ta gorge, tous attendent d’entendre ta voix. « Je veux plus vivre avec eux. » Mine de rien, c’est la première fois que tu parles autant depuis au moins un an.
Quelques jours plus tard, une assistante sociale vient chez toi pour comprendre. Tu pleures, tu cries, griffes, mords, hurles. Tu t’épuises jusqu’à ce qu’elle dise qu’on te retire à tes parents adoptifs. Personne ne comprendra jamais ce qu’il t’a pris. Pourtant, tu as juste fait ça pour que, pour la première fois de ta vie, on t’écoute et fasse ce que tu dis.
• St-Petersbourg, mars 2005.
« Ruslana, tu vas être placée dans une nouvelle famille d’accueil, essaie de bien te conduire, cette fois. » Elle soupire, même elle n’y croit pas. Du haut de tes 15 ans, tu hoches la tête. Tu attends juste de pouvoir sortir fumer une cigarette.
Une heure plus tard, une voiture t’attend. C’est l’heure. Après trois quarts d’heure de route, tu arrives devant une grande maison. « Bienvenue chez toi, Ruslana. Je suis Katrina, voici mon mari Dimitri. Et eux, ce sont comme tes frères et sœurs, Marcia, 13 ans ; Joseph, 8 ans et Jake qui a ton âge. » Tu ne dis rien, comme toujours.
Plus tard, tu fumes sur le toit de la maison, Jake vient te rejoindre. « C’est mon coin. » « Maintenant c’est le mien. » « Tu dois être sympa avec moi, j’ai une leucémie. » Tu hausses un sourcil et le regarde, il a le crane rasé, et tu distingues quelques tatouages, notamment sur ses bras. Il allume une cigarette. « Tu devrais commencer par arrêter ça… » « Je préfère mourir vite. Pourquoi attendre ? » Tu souris, tu aimes bien ce type.
• Moscou, avril 2007.
« Tu vois, Rus, les mois de recherches ont abouties. C’est mes vrais parents, eux. Je m’appelle Jake Antonov. Mes vrais parents sont blindés, tu y crois à ça ?! Je vais leur dire qu’ils me doivent un paquet de fric. Tu viens avec moi ? » Tu secoues la tête. « Je t’attends au café là-bas, au coin. Eh Jake ! fais attention à toi, ok ? Je t’aime trop pour te perdre. » « Arrête les sentiments, Rus. Oublie pas que je vais crever. Allez, à toute à l’heure. » Tu regardes la seule personne qui compte pour toi s’éloigner et découvrir qui il est. Ce que tu as refusé de faire depuis si longtemps, savoir qui tu es vraiment…
Plus tard, Jake entre dans le café et s’assoit en face de toi. Il sourit. « Ils sont trop cools. Je ressemble tellement à mon père qu’ils m’ont tout de suite cru quand j’ai dit que j’étais leur fils. Ils veulent s’occuper de moi. Se faire pardonner. C’est des cons, je pardonne pas. Mais ils sont pleins de thunes alors, j’ai dit oui. Ils vont me donner leur nom. J’ai trop géré, sur ce coup là, pas vrai Rus ? Je vais être blindé. Et tu seras ma princesse. » Tu souris doucement, parce qu’au fond tu es contente pour lui. mais tu as peur qu’il t’oublie. « Allez viens chérie, ça mérite un joint, tout ça. »
Ce soir là, vous êtes tellement défoncés que vous couchez ensemble, pour la première fois… A partir de là, plus aucun mec ne peut t’approcher sans que Jake leur casse la gueule, tout à changé.
• Moscou, février 2010.
Une dose d’amour magique. Plus qu’une drogue. Tu n’aimes pas Jake, tu l’inhales, tu le vis. Il te possède complètement. Tu es accro, dépendante, assistée. Tu ne vis que s’il est là. Tu es complètement aliénée par ton amour pour lui. Et tu sais que c’est réciproque. Pourtant, vous vous déchirez. Dès qu’il parle de la mort qui l’attend, tu frappes. Tu frappes les murs ou bien carrément, tu frappes sur lui. Pour le punir de prévoir son abandon. Quand tu frappes sur lui, il attrape tes poignets et te colle au mur et il hurle, jusqu’à ce que tu te calmes. Il hurle ? Qu’il t’aime. Il le crie, jusqu’à ce que ça t’atteigne. Vous êtes dans une bulle où il n’y a plus que vous et personne d’autre. Allongé dans le lit, dans cet appartement trop grand pour deux, que Jake a acheté avec l’argent que lui ont donné ses parents ; vous parlez pendant des heures. « Rus, tu voudrais pas partir ? Quitter la Russie ? » « Pour aller où ? » « Je sais pas, en Amérique par exemple, le rêve américain, ça te dit pas ? » Tu hoches la tête. De toute façon tu le suivrais au bout du monde.
• Moscou, octobre 2011.
Aujourd’hui, tu t’appelles désormais Ruslana Antonov. Depuis que tu es mariée. Mariée. A Jake Antonov. Tu l’aimes et il t’a demandé en mariage, tu as dit oui. Ce que tu ne sais pas, c’est que Jake va bientôt mourir, et que plus que par amour, il t’a épousé pour qu’à sa mort tu ais tout. Tout son argent…
Et quelques mois plus tard. « Jake ? T’es où ? Jake ? » Tu arrives dans le salon. Sur la table basse, tu vois de la cocaïne étalée partout, un joint pas fini et une bouteille de vodka presque vide. Et sur la canapé. Ton homme. Tu comprends. Tu as peur. Tu t’approches de lui. « Jake ? Qu’est-ce que t’as fait pauvre con ? » « Rien, Rus, je t’assure. C’est pas la drogue, c’est la leucémie. » « Ta gueule ! » « Ruslana, regarde moi. Tu te souviens ? Du rêve américain, tu t’en souviens ? » Tu hoches la tête sans comprendre. « Prends tout l’argent de mes connards de parents et tire-toi là bas. Tu m’entends. Prend tout. Tu t’appelles Antonov, cet argent il est à toi. » « Arrête de dire ça. Arrête de me parler comme si t’allais crever ! T’as pas le droit de me laisser. » « J’suis déjà mort, chérie. » Tu appelles une ambulance. Quelques heures plus tard, à l’hopital, on t’annonce que ton mari est mort. Tu t’effondres.
• Arizona , mars 2012.
« L’homme que j’aimais est mort il y a trois mois.
Tant bien que mal, avant j’aimais la vie, parce qu’on l’avait en commun. Avant, j’aimais la vie, même sachant tout ce que je savais, car dans l’immensité du vide, il était là qui souriait. Aujourd’hui, je chéris un fantôme, un souvenir. Je pense encore à lui chaque jour, chaque minute, chaque seconde... Absurde constance. J’ai beau vivre, si on peut appeler ça vivre, j’ai beau baiser, et sortir... Je pense encore à lui. Je regarde les gens, leurs pas qui les emportent vers une finalité absente... Et au fond de moi-même, son image qui me hante. Je le connaissais mieux que personne. On avait le même état d’esprit, on méprisait la platitude et la médiocrité, on était prisonniers du fric et ça nous rendait dingues, et on ne savait pas pourquoi on existait. Maintenant, qu’il n’est plus là, je sais pourquoi j’existais. J’existais pour lui. »
Le rêve américain, il disait…

que signifie le terme d'amour pour ton personnage ? → J'ai cru en l'amour. J'ai fait cette erreur là, de croire que tout ça était possible. Donner mon coeur à quelqu'un... Et puis aujourd'hui, il n'a rien d'autre qu'un vide inconsidérable. Je n'oublie pas ce que c'est d'aimer : c'est grand, c'est beau, c'est fort, ça vous prend aux tripes, ça vous donne la force de tout surpasser. J'ai juste peur de retomber là dedans, et d'être incapable de le contrôler... Aimer, c'est perdre pieds.

quel est le statut amoureux de ton personnage ? → Je suis célibataire, depuis quelques mois. Non, en fait, je ne suis pas célibataire, je suis veuve. Je panse les blessures d'un amour mort, de celui qui m'a quitté à jamais. Je remonte à la surface. J'ai peur. J'ai tout donné par amour, et on m'a tout pris. Maintenant, je dois retrouver tout ce que j'ai perdu, tout ce que j'ai laissé derrière moi...

quelles sont les préférences sexuelles de ton personnage ? → Je suis hétérosexuelle. Ou bisexuelle, peut-être. Oui, bisexuelle, même si je suis plus attirée par les hommes. J'ai eu quelques aventures avec des filles. J'en aurai peut-être d'autres, qui sait ?...

comment ton personnage se voit-il dans l'avenir, du point de vue amoureux ? → Aujourd'hui, je ne me vois pas retomber là-dedans, recommencer une histoire... Mais après tout, on ne sait jamais pas vrai ? Tout ce que je veux, c'est juste être sure que ça ne me laissera pas dans le même état. Je ne veux pas commencer une histoire qui doit se finir. Pourtant, paradoxalement, je préfère aller à droite à gauche plutôt que de me poser. En fait, aujourd'hui, je ne sais absolument pas ce que je veux...