il faut un début à tout.
Déambulant dans les couloirs de l’université, j’me sentais un peu ailleurs. L’année venait de commencer. Mon œil me piquait, j’avais un œil au beurre noir. Ouais, mes voisines de cellules m’avaient fait un cadeau d’au revoir. Grosses putes. En huit mois passé là-bas, j’ai pas accepté de sympathiser avec une seule de ces petites chiennes. Toutes casées pour prostitution, trafic de drogue, vol, recel, des conneries du genre. Bon, d’accord, moi j’y étais pour possession de stupéfiants, mais quand même. Faut pas déconner. Pourquoi mélanger des gens qui n’ont absolument pas commis les mêmes délits ? A part avoir été là au mauvais moment, j’ai techniquement rien fait de mal. J’étais même pas défoncée quand ils m’ont arrêtée. J’avais juste un reste de pilule de la veille. Rien de plus. On est d’accord que c’est rien ? Ben oui, c’est rien. Huit mois pour une connerie pareille. J’ai l’impression d’avoir raté un épisode de ma vie. Ça doit être ça, la prison, de toute façon.
Je sais même pas ce qui m’a pris de me réinscrire à la fac. J’ai juste écouté les conseils de mon avocat qui m’a proposé de me réintégrer dans la vie classique d’une fille de mon âge. L’université. Soit. J’ai toujours été bonne en sciences. J’ai toujours été bonne en tout. Ils me jugeaient même si intelligente qu’ils ont eu la bêtise de me faire sauter deux classes. Les gens qui acceptent de faire prendre de l’avance à leurs enfants sont tous des cons. J’me suis retrouvée au lycée avec deux ans de moins que les autres. J’étais seule comme la mort, les gens me calculaient pas, comme si j’avais rien à leur offrir. Tous des enculés. J’m’en fous. Disons que ces deux années en trop ont été rattrapées par mes conneries. Une fois mon diplôme obtenu, j’ai rien glandé pendant un an, découvrant la sexualité, la drogue, l’alcool. Puis j’ai fait mon séjour en prison. Et on en est là. Devant la salle de chimie, remplie de têtes inconnues. Je connais personne, strictement personne. J’ai jamais vraiment eu d’amis et par conséquent, pas de connaissances. J’ai toujours vécu à Phoenix sans me lier à qui que ce soit. Ma mère est une connasse finie, mon père un ivrogne, ma sœur est morte avant même d’être née et mon chien n’a qu’un œil et pas de couilles. La vie est mal foutue j’crois.
Sans regarder qui que ce soit, je m’avance dans la salle et prend place à une table dans le fond. J’observe les silhouettes de dos qui s’installent, ouvrent leur sac et se toisent les uns les autres. Hé oui les gens, on va passer plusieurs années ensemble. On va certainement se vomir dessus, se tâter mutuellement les tétons et comparer nos manières d’agiter nos bites. Ils sont tellement adorables à faire les timides les uns avec les autres. On dirait un film. J’aurais peut-être du faire anthropologie ou psychologie plutôt que chimie. J’aurais été plus à ma place. J’ai choisi la facilité ; je choisis toujours la facilité. Le professeur, un grand con chauve en blouse blanche fait son entrée dans la salle, précédé d’une fille qui est certainement une retardataire. Blonde, fine, sublime. Je fronce les sourcils, l’observant scruter la salle à la recherche d’une place libre. Elle s’assoit d’une manière qui se veut discrète un rang devant moi. Le cours débute. Allez, c’est parti pour une année rythmée par les éprouvettes, les fonctions à douze inconnues… les gobelets rouges et les pilules bleues.
*
La fête battait son plein. Faith était tellement ivre que ses iris n’étaient même plus discernables au travers de ses paupières closes, trop lourdes sous le poids de l’alcool. Agitant ses hanches sous les grondements de la musique, emportée par l’inconscience, plus rien autour d’elle n’existait réellement. Le son paraissait être la seule chose capable de contrôler son corps ; et elle dansait, dansait, oubliait, riait, vivait, s’amusait, que le reste du monde aille au diable, elle dansait. Qu’importaient tous ces gens autour, tant que la musique continuait à gronder, tant que l’alcool continuait à couler, tant qu’elle pouvait continuer à bouger. Sans s’en rendre compte, elle venait de chuter. De s’écraser lamentablement au sol. Elle sentit une main passer sur son front avec douceur, une douceur telle qu’elle parvint à ouvrir les yeux. Le visage angélique d’Avery trônait au-dessus du sien. Elle ne put s’empêcher de sourire, bêtement. Se relevant, zigzagant, elle l’emmena sur un canapé vide. Faith voulait parler, dire des trucs, peu importe quoi. Mais aucun son ne parvenait à sortir de sa bouche. Alors elle l’embrassa. Sans rien dire, d’un geste presque brusque, elle attrapa sa nuque, ramenant son visage contre le sien. Le baiser fut bref, mais d’une intensité que seule l’alcool était capable de créer. Avery n’avait rien dit, ne semblait même pas réticente. Alors Faith recommença. Leurs langues se cherchèrent, leurs lèvres se resserraient, leurs mains vagabondaient sur les hanches de l’autre. La traînant jusque dans sa chambre un étage au-dessus, elle allongea la blonde toujours dans un silence des plus prenants. La chaleur de sa peau la faisait frissonner, son regard profond l’étourdissait ; depuis son entrée innocente dans cette salle de chimie, Faith rêvait de ce moment, de ce putain de moment où elle pourrait enfin passer un doigt sur cette peau frissonnante, poser ses lèvres sur ses clavicules saillantes, sentir l’odeur envoutante de ses cheveux et entendre les frémissements hésitants de sa voix enfantine.
*
Cette cave est vraiment miteuse. Avec tout le temps que j’y passe, j’aurais pu au moins passer un coup de peinture, un truc du genre. Tu me diras, vaut mieux pas rendre l’endroit trop accueillant. J’ai pas le choix, j’dois rester le plus discrète possible. Même Avery est pas au courant. Putain, si elle savait, la pauvre… du sang coulerait, j’crois bien. Plus de deux ans qu’on est ensemble, plus d’un an que j’ai cet atelier, et plus d’un an que je ferme ma gueule en prétendant aller donner des cours de maths au fils de la voisine. C’pas franchement des cours de maths. Ça rapporte bien plus de thunes, même. Métamphétamines. Une bonne merde, j’fais une putain de bonne merde. Je crée la drogue la plus pure qui soit pour la couper avec des trucs dégueulasses. Ça se vend bien, c’est tout ce qui compte. Je refile ça à mes petits revendeurs qui s’occupent d’amasser la thune. Puis j’encaisse. J’habite pas à un appart’ de rêve pour rien.
J’ai imaginé ce plan peu après avoir rencontré Avery. J’ai toujours eu envie de faire ma propre came. Moins cher, et au moins, j’suis sûre de ce qu’il y a dedans. J’ai jamais autant plané depuis que je fais mes propres mélanges. Par contre, j’ai réduit les doses. J’en prends beaucoup moins qu’avant. Pourquoi ? Je sais pas. Peut-être le fait d’avoir réellement conscience de ce qu’il y a dedans. Le fait d’être à la tête d’un petit trafic, je me dois d’être toujours lucide. J’en prends que quand je sors, quand je m’engueule avec Avery ou quand j’ai mes règles (quand je les ai, du moins). Bon, d’accord, on s’engueule souvent. Mais ce qui est bien, c’est que la came me fait tellement décoller qu’on fini toujours par baiser comme des sauvages après. Si y a bien un truc qui a jamais changé entre elle et moi, c’est nos pulsions sexuelles, brutales, sèches. Y a rarement de l’amour dans nos échanges corporels. Y en a, hein, c’est déjà arrivé que l’on fasse réellement « l’amour ». Mais c’est pas le sentiment qui débarque en premier quand j’enlève ma culotte.
Pourtant, de l’amour, entre nous, y en a pas mal. On s’aime, putain, on s’aime tellement, tellement qu’on se déchire sans même en être conscientes. Notre vie à deux est tout ce que je recherche : paisible tout en étant électrique. On s’ennuie jamais, on a toujours des choses à se dire ; on rit, on pleure, on vit. Elle est tout ce que j’ai et tout ce que je n’ai jamais eu. La voir partir, c’est me voir mourir. Elle est l’élément vital à ma survie. On continue d’aller en cours toutes les deux ; mais à l’université, on a nos propres amis, on ne se parle que peu. C’est une règle qui s’est instaurée plutôt naturellement. On se supporte déjà quotidiennement, je sais pas quel effet ça aurait sur notre couple que l’on soit constamment collées l’une à l’autre en cours. Je sais que moi ça me dérangerait pas, mais la connaissant, ça la soulerait vite. Et si y a bien une chose que je ne veux pas voir arriver chez nous, c’est la lassitude. Tout est trop beau et trop parfait contre son sein pour que je ne puisse imaginer qu’un jour tout cela se termine. Elle est mon essentiel.